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Écrits de Marc Hodges
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14 janvier 2013

Rendez-vous

latoile3

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Brooks marche maintenant dans le mall, cherche la cloche jaune qui sert d’enseignes aux Taco Bell. Autour de lui, la plupart des boutiques ont déjà fermé leur rideau, seules restent ouvertes quelques enseignes de restauration populaire et deux ou trois de ces supermarchés défraîchis où rôdent les groupes glauques de désintégrés. Deux gardes tenant en laisse un pitbull patrouillent au milieu des papiers gras et autres détritus débordant des corbeilles à papier. Sur des bancs de bois autrefois vernis, des silhouettes sales dorment çà et là. Un homme ivre titube en travers de l’allée. Dans un renfoncement, un groupe de jeunes, hirsutes, en haillons, écoute une archaïque radio à piles. Brooks est mal à l’aise. Il n’a pas l’habitude de traîner dans des endroits pareils. Avec son costume, sa cravate, il se sent étranger, déplacé, presque coupable… un peu inquiet aussi. Il regrette presque d’être venu.

Il arrive au Taco Bell, s’installe à une table d’une propreté douteuse, commande au serveur un taco chili et un verre de bière, regarde autour de lui. La salle ouverte sur l’allée centrale est presque déserte. Les deux serveurs font étalage de leur nonchalance. Brooks se demande si Stag est bien là, s’il ne s’est pas trompé, s’il a bien compris ce qui lui a été dit au téléphone. Leur conversation a été si brève, pourvu qu’il ne se soit pas trompé ! Un homme d’une quarantaine d’années entre dans la salle, regarde autour de lui comme s’il cherchait quelqu’un, va au bar prendre un verre de Coca-Cola. Brooks se demande s’il s’agit de Stag mais l’homme s’en va avec son verre de carton. Dans un coin de la salle, un autre homme, la cinquantaine, mal fagoté dans une veste de nylon bleu matelassé, ventre débordant boudiné dans une chemise peut-être blanche, pantalon de couleur indéfinissable, cheveux blancs clairsemés aplatis sur une tête sphérique, semble somnoler devant une assiette de carton vide. Brooks attend…

À vingt et une heures quarante-cinq, il regarde encore autour de lui, se demande s’il ne devrait pas partir, s’oblige à attendre jusqu’à vingt-deux heures. Comme rien ne se passe, il se décide, se lève, paie sa consommation avec sa smart card, s’en va. L’homme qui semblait dormir se lève aussi, le suit, l’aborde dans l’allée:

- T’as pas un dollar ?
- Désolé, je n’ai jamais de liquide.

L’homme le regarde fixement.

- Stag. Je suis Rodney Stag. Suivez-moi.

Rodney Stag sort du mall par une des portes latérales, se dirige vers une bagnole hors d’âge garée près de la sortie, s’y installe. Brooks le suit, monte à côté de lui. Ils démarrent, roulent un moment sans parler. En pleine campagne, Rodney Stag s’engage dans un sentier qui entre dans une forêt, se gare, coupe son moteur.

- Désolé, mais on n’est jamais trop prudent.
- De quoi avez-vous peur? demande Brooks.
- Vous ne savez pas de quoi ils sont capables ! Si vous saviez le nombre de menaces que j’ai reçues, le nombre de fois où ils ont cambriolé mes appartements, cassé mes voitures… J’ai même été tabassé.
- Vous n’avez pas porté plainte?
- Bien sûr que si, mais contre qui? Contre les jeunes désintégrés qui m’ont agressé à la sortie de chez moi et qui ont disparu, contre les petits dealers qui sont venus me cambrioler?… ou les mineurs drogués, trop jeunes pour être mis en taule, qui me piquent ma bagnole?… Que des comparses, des gamins manipulés. Les autres sont invisibles.

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