à la recherche d'un adolescent

Évelyne Puget a facilement convaincu l’agent Bergotte de la laisser prendre la direction des opérations: il ne demande que ça. Ils sont d’abord allés dans la résidence modeste où elle habite et, sous prétexte que dans ce quartier il n’est pas prudent de laisser une voiture de police sans protection, Albertine est allée, seule, enquêter chez la personne qui s’est plainte d’un cambriolage. En fait elle n’y est pas allée. Elle est allée chez elle où, le plus tranquillement du monde, elle a constitué, sur l’ordinateur portable du service, un portrait robot de l’adolescent qu’elle veut retrouver. —j’ai ce qu’il nous faut annonce-t-elle à Bergotte qui somnole tranquillement dans la voiture garée au soleil, un portrait robot d’un adolescent… —Encore un de ces sales mômes! grommelle Bergotte qui a une forte propension à croire que tous les adolescents sont des délinquants en puissance depuis que le sien, au cours de son divorce, a demandé d’être sous la garde de sa mère. —Regarde (c’est Albertine qui parle), j’ai un portrait-robot, un voisin aurait aperçu ce gamin qui sortait par la fenêtre à deux heures du matin. —Qu’est-ce qu’il fait là? —Le voisin? —Non, le gamin? —Ça, faudra lui demander. En tous cas, il faut le retrouver. T’as une idée? Bergotte n’en a pas. Il n’en a jamais. Il fait ce qu’on lui demandait de faire, au plus juste, à l’économie, c’est tout; et ça, pour l’heure, ça convient bien à la petite Évelyne. —Bon, on va d’abord faire le collège du coin.
A la fin de la journée, Évelyne, flanquée d’un Bergotte qui, de plus en plus indifférent, n’agit guère que comme un automate, a rencontré les principaux d’éducation des quatre lycées et des cinq collèges, publics ou privés, de la ville. Sans succès: personne ne connaît ce bel adolescent. L’affaire se complique. Évelyne commence à se demander si son portrait robot est bien efficace. Pourtant, bien qu’elle ne l’ait vraiment vu que la première fois, elle est persuadée que l’image qu’elle montre est ressemblante: profil fin, visage à l’ovale parfait, bouche petite mais sensuelle, yeux allongés, regard comme filtré par de longs cils, coiffure à la page avec une frange tombant presque sur les sourcils et une coupe mi-longue dans le cou, cheveux noirs de jais… Elle ne peut pas se tromper à ce point. Il ne peut tout de même pas être encore à l’école primaire! Elle hésite, se demande (car en parler à Bergotte n’aurait produit rien d’autre qu’un «comme tu veux» résigné) si elle va voir la Directrice de celle du centre, mais non, il n’est pas possible qu’il soit si jeune… Il faut voir autre chose. Elle entraîne Bergotte dans le seul café fréquenté par les adolescents: rien là encore… puis à la maison de jeunesse, à l’école de musique, au centre interculturel d’Avon… Rien, rien, rien… Son adolescent est inconnu, ne dit rien à personne, n’évoque pas le moindre souvenir, aucune hésitation, il est introuvable. —Bon, va falloir rentrer, suggére Bergotte, le temps passe et j’ai bientôt fini mon service! —Il reste encore une heure! —Je préfèrerais être revenu au poste avant, je ne veux pas partir en retard… L’enthousiasme de son coéquipier fait plaisir à voir. Il est vrai que, lui n’a pas de raison précise de retrouver ce gamin, que ce n’est qu’une affaire de routine sans importance. D’ailleurs, pour Bergotte, mis à part ses repas et son cognac du soir, tout est sans importance… Ils ont garé leur véhicule en bordure de forêt, près du cimetière juif et de la gendarmerie, un espace d’un calme parfait propice à la réflexion. —On a bien fait tous les collèges et lycées, demande Évelyne? — J’en connais pas d’autre… —Bon, alors on rentre, j’aurai encore tout demain pour trouver… —T’as raison… mais demain je suis pas de service, faudra que tu trouves quelqu’un d’autre… —T’en fait pas pour ça, je m’en occupe. —On y va? —On y va!