la maison de retraite

Le passage à la maison de retraite «Eden 77» de By-Thomery, une ancienne maison de maître, qui avait dû être plutôt blanche et coquette, enchâssée dans la protection d’anciens murs de vigne, a été plutôt rapide: Albertine Mollet n’a pu que constater l’étendue des dégâts, s’inquiéter du sort des pensionnaires qui ont été replacées dans d’autres institutions du même genre, parfois dans leur famille —en attendant… Sa rencontre avec la Directrice, qui habite une petite maison, un peu plus loin dans le parc n’a pas été des plus fructueuses: — je ne vois pas qui a pu nous faire ça, nous n’avons pas d’ennemis… — une famille dont vous auriez refusé un membre, un employé mis à la porte? Non! Mme Balbec, femme plutôt ronde et rose, soucieuse de sa personne ne voit pas, elle ne s’est jamais disputé avec personne, s’efforce de rendre service, de s’occuper au mieux de ses pensionnaires qui sont plutôt choyés… Vous savez, nous sommes souvent leur seule famille, parce que pour ce qui est de leurs vrais parents!… —Le rapport des pompiers est cependant formel, le feu est parti de l’extérieur, semble-t-il d’un appentis sous lequel sont entreposées des bûches… —Il paraît. Ce sont les bûches pour la cheminée de notre grand salon, les pensionnaires aiment beaucoup s’y réunir… —et un pensionnaire? —Impossible, presque tous sont grabataires et les portes sont fermées. Je ne vois personne d’assez valide pour sortir en pleine nuit allumer un incendie! —Il y a quand même eu un incendie, et cette lettre? Albertine agite la lettre anonyme que la Directrice a trouvée dans sa boîte aux lettres: une enveloppe à l’enseigne d’un «hôtel Cyprus», adressée à «Commissaire Albertine Mollet» et contenant une feuille de papier pliée en trois, sur laquelle ont été collés des caractères découpés dans un ou plusieurs magazines (une caricature de lettre anonyme comme aiment à les présenter les feuilletons télé). Le texte dit: «Combien vous faudra-t-il de morts pour que vous me preniez au sérieux?» —Je n’ai vraiment aucune idée de sa provenance; si je pouvais vous être d’un secours quelconque!… Mme Balbec semble sincère, très malheureuse de ce qui est arrivé à son établissement.

Albertine n’insiste pas. Il faudra faire analyser cette lettre bien que, à fermeture autocollante, il y ait peu de chance que l’on y trouve une quelconque trace d’ADN. Quant à des empreintes? Quelqu’un capable de découper et coller, un à un, cinquante huit caractères doit être précautionneux, méticuleux même. Le labo trouvera peut-être quelque chose dans la colle… Le seul indice étonnant est le timbre de l’hôtel Cyprus. Pourquoi, alors que l’incendiaire a tout fait pour maintenir son anonymat, a-t-il choisi une enveloppe aussi marquée? Albertine ne comprend pas. Il faudra vérifier ça en premier. Elle rêve un instant de prendre quelques vacances à Chypre… Mais c’est un rêve, l’affaire n’est pas assez importante pour que la PJ l’envoie si loin en Méditerranée et même, au cas où, ce n’est pas elle qui sera envoyée, il y a, sur place, une ambassade. Mais on peut toujours rêver.

Elle prend congé: —en tous cas, n’hésitez pas, si vous avez le moindre soupçon, si vos employés… à ce propos, il faudra qu’ils passent tous déposer au commissariat… pensent à quelque chose, vous appelez mes services. Il faudra aussi que vous me fassiez parvenir la liste de vos pensionnaires avec leur adresse actuelle. En attendant… —Je vais avoir du travail, les assurances, les entreprises pour les devis… — Ne vous en faites pas, on trouvera le coupable. —je l’espère!… Albertine est loin d’en être sûre, mais parce qu’elle pense que son personnage doit dire ça, elle le dit. Après tout, c’est elle la représentante de l’ordre même si elle doute de plus en plus de la pertinence de cette expression, tentée plutôt de se désigner comme «gérante du chaos», même si ça elle ne le dit jamais à personne.