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Écrits de Marc Hodges
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6 décembre 2012

L'obsession d'Évelyne

Depuis qu’elle a pris sa décision, Évelyne ne pense plus qu’à ça: il lui faut à tout prix retrouver son bel adolescent au profil florentin (ou vénitien… mais sur ce détail elle ne se battra pas…). Cette concentration excessive sur un seul objet provoque de sa part de la distraction, une distraction croissante; le visage de l’adolescent masque tout le reste. Si on ne fixe qu’un point de la carte, les autres échappent. Évelyne avait l’esprit fixé sur la silhouette de l’adolescent, sur sa coupe de cheveux, sa grâce, sa légèreté, la couleur sombre de ses yeux; et tout le reste lui échappait: elle est désormais incapable de la moindre concentration ni sur son travail ni sur ses activités ménagères… Elle n’a plus envie de s’occuper de ses enfants ni de son mari. Une jeune chose lui importe désormais: retrouver cet adolescent. Et pour cela, il lui faut inventer des prétextes, n’importe quel prétexte pour libérer du temps, elle ne supporte plus de rester enfermer au commissariat pour s’occuper des affaires courantes, recevoir du public, répondre au téléphone… Les taches routinières qui sont les siennes et que, jusque là, elle accomplissait sans trop y penser, lui deviennent des corvées insupportables: elle n’a plus aucune envie de dresser des procès-verbaux, chasser les clochards qui importunent les passants, d’aller écouter les plaintes diverses de quelque commerçant que ce soit, ni d’écouter les vieilles dames dont un jeune, plus ou moins facétieux, aura arraché le sac à main.

La commissaire Albertine Mollet n’a rien d’un Sherlock Holmes —et d’ailleurs personne ne lui a jamais demandé de montrer qu’elle pouvait en être un—, elle fait son métier, comme elle pense qu’il faut le faire, sans enthousiasme excessif ni abandon extrême. Elle ne demande pas à ses subordonnés de faire du zèle, mais elle ne supporte pas qu’ils ne remplissent pas avec consciences les tâches qui leur sont assignées. Le problème d’Évelyne est donc de se faire charger d’une mission qui, sans éveiller les soupçons de sa hiérarchie, lui permettra de mener son enquête personnelle. Elle est persuadée que, de toutes façons, elle aboutira vite, c’est une affaire d’un ou deux jours, trois tout au plus car son plan d’enquête est prêt, les lieux fréquentés par les adolescents ne sont pas très nombreux. Celui qu’elle recherche doit avoir quatorze ou quinze ans, elle doit donc chercher dans les collèges, peut-être les lycées, visiter les deux commerces de jeu vidéo, passer à la maison des jeunes et peut-être, si cela ne suffit pas, voir les clubs sportifs, le club de théâtre ou l’école de musique… Fontainebleau est une petite ville où il n’est pas facile de se perdre, elle trouvera vite des indices.

Elle décide donc d’inventer une affaire. Évelyne habite dans une petite résidence tranquille de cadres moyens en bordure de la ville et de la forêt. Il ne s’y passe jamais rien. Elle invente un cambriolage. Sachant une de ses voisines absentes pour la journée, un matin, avant de partir à son travail au commissariat, elle en escalade le balcon, brise une vitre, verse le contenu de quelques tiroirs à terre et, avec un feutre effaçable (elle ne va quand même pas détériorer le cadre de vie de sa voisine), inscrit sur un mur «Ça t’apprendra, on reviendra», signé «Hells Angels» puis elle attend le lendemain que sa voisine revienne.

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