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Écrits de Marc Hodges
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7 novembre 2012

Souvenir d'école

Spectateur dans la classe de mon père, je ne m’ennuyais pas, au contraire, fils de l’instituteur j’étais protégé par les grandes qui adoraient jouer à la maman et m’expliquer ce qu’elles avaient compris, intégré par les grands dans leurs groupes de jeux, je me sentais l’égal des petits à peine plus âgé que moi. Nous formions une communauté d’enfants que mon père qui avait été, je ne sais comment au contact des idées d’Heinrich Siemms, voulait mener suivant les préceptes de Célestin Freinet avec lequel il correspondait.

Je m’éduquais ainsi tout seul. Mon père affectait de moins s’occuper de moi que des autres enfants de l’école. Ceux dont il s’occupait le plus étaient les plus démunis intellectuellement ainsi j’ai cru quelque temps qu’il préférait entre tous Mariane Bonnal. Elle avait 11 ans quand j’en avais cinq, dernière fille de la famille Bonnal, elle était née en 1916 l’année même où son père avait disparu à Verdun. Un peu attardée,  elle n’avait, à 11 ans, guère plus d’intelligence que les enfants de six ou sept. Or j’en étais un peu jaloux car mon père, qui la gardait à l’école le plus longtemps possible, s’en occupait avec une sollicitude de tous les instants.

Mais qu’importe, je vivais ma vie d’écolier en toute liberté, m’éveillant, sans m’en rendre compte à toutes sortes de connaissances. À la rentrée 1927, alors que je n’avais pas encore cinq ans, mon père décida que je devais rejoindre le groupe des cours préparatoires puis, s’apercevant que, comme beaucoup d’enfants mis dans ce genre de situation, je savais déjà lire décida, pour mon anniversaire, que je rejoindrais le groupe supérieur des cours élémentaire 1. Tout cela n’avait pas grand sens tant les groupes étant perméables, restaient de l’ordre du symbolique. Mais par cette décision personnelle et arbitraire il affirma ainsi, à la grande fierté de ma mère, que j’avais deux ans d’avance. Avec une bouteille de cidre et des crêpes, on fêta à la fois ma promotion et mon anniversaire en écoutant Frehel et Firzel dans les chansons desquels je trouvais des allusions à notre situation familiale. Et bien sûr j’eus le droit de remonter à la manivelle le gramophone Horn.

Comment mon père aurait-il pu imaginer que cette situation scolaire conforme à ses principes éducatifs, si libre, si intelligente, si coopérative et égalitaire devait, plus tard, me poser de vrais problèmes et être à l’origine de ma vie plutôt aventureuse ?

 

Hier soir, je me suis bien endormi sur Adorno, éveillé aussi ce matin. C'est une pensée stimulante. Mes notes sur le volume montrent que je l'avais lu et je me rends même compte que j'avais fait mienne certaines de ses idées en oubliant totalement d'où elles venaient. Faut-il parler de plagiat mémoriel ou d'acculturation ? Comme tous, je suppose, je suis mémoire et oubli. J’ai oublié presque tout de ce qui a été ma vie et pourtant, comme me le confirme mon expérience de ma relecture d’Adorno, la mémoire me constitue à un point tel que le présent de ma pensée est en partie constitué d’une infinité de souvenirs à ce point inscrits dans mes réseaux de neurones que je ne les perçois plus comme des souvenirs statiques mais comme autant de pensées vivantes et dynamiques. Le vif naît de la mort. Être n’est, pour l’essentiel, que s’interdire de se souvenir. Il paraît qu’au moment de sa mort l’homme voit défiler à grande vitesse, mais cependant avec précision, le film de sa vie. Mes souvenirs n’en sont que des fragments mais pourtant je ne veux pas me résigner à croire qu’ils annoncent mon inéluctable fin prochaine.

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