Deuxième lettre anonyme

Attendant que son collègue revienne d’acheter leurs deux doner kebab, Évelyne, dans la voiture de service, vitre entrouverte, profite du soleil —rare en cette saisons— qui lui chauffe agréablement le visage quand une lettre atterrit sur ses genoux. Surprise, elle a tout juste le temps de voir fuir sur ses rollers la silhouette svelte de l’adolescent qui lui avait remis ses deux lettres précédentes. Elle n’a même pas le temps de sortir de son véhicule qu’il était déjà entré dans le parc du château, inatteignable.

Son premier réflexe est de regarder si son collègue a été témoin de cet incident mais non, à travers la vitrine du petit commerce, elle peut voir sa silhouette floue: il semble bien trop occupé à passer sa commande. Sans prendre le temps de l’examiner, elle enfouit la lettre dans son blouson de police

Bien que n’étant pas d’une grande vivacité d’esprit et que sa capacité d’imagination soit des plus moyennes, Évelyne n’est pas sans penser que, plus encore que les deux précédentes, cette lettre ne peut que lui procurer des désagréments: elle a en effet vu d’un coup d’œil que l’enveloppe, comme les précédentes, est marquée du sigle de l’hôtel Cyprus. Elle ne peut qu’en conclure qu’elle doit contenir la même sorte de message anonyme. Évelyne sent qu’elle s’est maintenant enferrée dans le mensonge, les événements prennent un tour très désagréable: il lui faut choisir entre blâme et complicité.

«Voilà ton kebab» dit son collègue Loubet rentrant dans la voiture, «Je t’ai pris aussi un Coca… j’espère que ça te va!» Évelyne, plongée dans ses pensées, ne répond pas; «Ça te va?» insista son collègue. Oui, ça lui va… «Bon, faut aller faire un tour à Recloses, paraît qu’il y a un problème dans un cimetière… On bouffe en route!» Évelyne ne répond pas. Loubet met le moteur en route.