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Écrits de Marc Hodges
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18 août 2012

Un enfant endimanché

Sur la deuxième photo, celle où j’aurais dix huit mois, je suis assis au bord de ce qui semble être une table recouverte d’un gros tissu — on dirait bien un tissu assez épais —  imprimé, ou brodé, de quelque chose comme des feuillages. Les photos noir et blanc font perdre des informations sur le monde, le mettent à distance, je ne saurai jamais la réalité apparente de ce qui pourrait être une nappe et dont je ne trouve aucune trace dans mes souvenirs. Le fond, à quelque distance de la table est très «sfumato»: un mur sale ou peint, une ombre, un tableau, une fenêtre et, si c’est une fenêtre, solution que semble suggérer quelque chose comme le bas d’un cadre que coupe mon dos et, peut-être, la verticale ouverte d’un vantail partant de mon coude gauche pour aller jusqu’au bord supérieur de la photographie… si c’est une fenêtre, elle ouvrirait sur un possible paysage d’eau (mer, lac, océan, étang) et de nuages sur lequel se découpe le haut de mon corps. Paysage sans doute virtuel, factice, artificiel tant il semble peu vraisemblable, qu’à cette période de ma vie, mes parents m’aient amené ailleurs qu’à Mende ou à Carmaux.
J’ai dix huit mois et le visage toujours aussi rond, coupé en deux par l’éclairage dessinant le profil droit sur la face, les joues pleines, les yeux ronds grand ouverts sur qui me photographie, une petite bouche serrée, quelque chose de figé comme si l’on m’avait intimé l’ordre de ne pas bouger, l’air sérieux, attentif, peut-être même vaguement craintif qui m’interdit de sourire. Quelques mèches de cheveux que je devine blondes sortent d’un bonnet à bordure de dentelle qui souligne et enserre tout mon visage. Or, de mon corps, ce n’est presque que lui seul qui est visible tant je suis couvert de vêtements. De mes deux mains, en effet, toutes deux posées sur le tissu de la table me maintenant dans un équilibre qui est peut-être instable, seuls quatre doigts de la main droite, du côté le plus éclairé par ce que l’on devine être quelque chose comme un projecteur, sont vraiment visibles ; la main gauche, semble-t-il posée à plat, disparaît dans l’ombre.
Le corps, les vêtements qui le cachent est tellement éclairé qu’il forme une grande tache blanche au centre de la photographie. On imagine un vêtement de dessous qui pourrait être comme une robe, presque entièrement dissimulé sous un manteau de couleur claire boutonné du bas en haut, cachant jusqu’à mon coup et ne laissant visible que la rondeur de la face. Sur ce manteau lui-même, un mantelet de dentelle d’où émergent les manches du manteau. Peu de plis dans tous ces vêtements qui semblent neufs et que la lumière écrase. Sur la partie gauche du manteau, une poche, elle-même bordée de dentelle. Tenue de fête, tenue d’apparat, j’étais habillé pour la photographie et, dans ce soin à « me faire beau », se lit toute la fierté de parents à exposer leur premier enfant. Qui plus est un garçon, ce qui, dans cette société campagnarde, n’était pas sans importance même si, par ailleurs, mon père n’avait pas à respecter l’ensemble des codes qui régissaient le milieu où il vivait alors.
Assis sur cette table, mes pieds sortent du manteau ne laissant apercevoir que le bas d’une chaussette, ou d’un pantalon, sur un fragment de jambe gauche. Ils pendent dans un vide accentué par le manque d’éclairage de la nappe couvrant la table qui coupe, dans une très légère oblique gauche-droite, l’image en une masse sombre sur laquelle se détachent les chaussures à lacets de tissu ou de cuir clair qui dissimulent mes pieds.
L’ensemble de la photo, qui semble avoir été réalisée par un photographe professionnel, est figé, hiératique, presque solennel, tout naturel en a été banni.
 

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