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Écrits de Marc Hodges
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31 juillet 2012

Histoire d'un berceau

Le berceau dans lequel j’ai vécu ma petite enfance venait de la famille Mazel, il avait été le berceau de tous leurs enfants, donc celui de ma mère et personne ne sachant comment il était devenu leur propriété, une légende — probablement une légende — familiale prétendait qu'il avait été offert à la grand mère de Jules Mazel, servante chez un châtelain des environs, colonel de cavalerie dans l’armée napoléonienne, dont elle aurait été enceinte. Quelque chose comme un geste de reconnaissance officieuse de ce bâtard, prénommé Étienne, qui ne serait jamais officiellement déclaré comme tel, que je n’ai pas connu mais dont le souvenir me rattache à l’histoire car c’est souvent par l’intermédiaire d’objets anodins que nos vies invisibles se rattachent aux grands mouvements du monde. C’était un berceau Charles X, en noyer chevillé et tourné, formant une coque de navire, les deux extrémités de la nacelle fixées sur des montants de façon à permettre un ample balancement latéral reposaient sur un empiètement à quatre pieds lui donnaient une grande stabilité. Un de ces montants dépassait de plus d’un mètre la coque du berceau elle-même et se termine en tête de cygne sur laquelle ma mère fixait un léger rideau de tulle qui donnait à l’ensemble une grande élégance. L’ensemble pouvait être vu comme un cygne stylisé marchant sur terre. Ce berceau, la légende de ce berceau fascinât mon enfance qui, à travers lui, vécut des rêves d’aristocratie.

Les existences sont des tapisseries où les figures qui se tracent n’offrent une image qu’au fur et à mesure de leur tissage. Comment Pénélope pouvait-elle mieux affirmer que sa vie serait en jachère jusqu’au retour de son mari qu’en détissant chaque soir ce qu’elle avait tissé dans la journée. Le berceau Charles X m’évoquant cette ancêtre fille-mère, comment ne pas penser à toutes ces existences étranges qui ont fait ma famille. Ne pas évoquer aussi cette grand tante, née Mazel, à la réputation de guérisseuse — peut-être même de sorcière — qui vivait dans une ferme très à l’écart dans un autre hameau perdu de la commune, Les Fangettes, où parfois nous allions à pied. J’y reviendrai certainement. La langue nous fait et nous la faisons, nous respirons, marchons, mangeons, aimons avec et dans elle, peu à peu, avant même nos premières paroles dites, nous devenons cette langue que nous utilisons, qui nous utilise et dans ce mouvement réciproque peu à peu devient autre et nôtre. Ainsi, se disant, les souvenirs nous informent: nous devenons ce qui nous est dit.

Disant que je n’ai jamais écrit auparavant, je mens. De ci, de là, suivant les multiples aléas de ma vie, j’ai écrit, parfois même publié ici ou là, des articles, des nouvelles, des poèmes mais je ne considérais alors l’écriture que comme un petit gagne pain ou une distraction. Ce qui a changé avec l’écriture de ma vie, c’est qu’elle occupe désormais dans mon esprit une place centrale. C’est que j’ai incorporé le rapport de la langue à ce que je suis aujourd’hui. Aussi, je me rends bien compte que j’écris comme on écrivait avant-guerre cherchant une écriture souple, discrète, fluide, ne prenant pas le lecteur en otage alors que la plupart des jeunes auteurs d’aujourd’hui recherchent le contraire ne mettant l’écriture qu’au service d’elle-même alors que je la veux au service du récit qu’elle porte. Je suis donc hors circuit. C’est le privilège et le drame de l’âge.

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