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Écrits de Marc Hodges
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10 juillet 2012

Wilfrid et la musique

Ya pas idée de faire un truc pareil pense Wilfrid. Aller s’enfermer des plombes, pour s’asseoir serrés comme maquereaux dans leur jus de blanc, être obligé à fermer sa gueule pour faire semblant d’écouter une musique de chiotte, faut être taré comme La Beude pour ça. Quand il raconte ça à CMKK, La Beude est morte et, avec l’aide d’un mec rencontré au troquet, ils s’est débarrassé du cadavre dans ce qu’ils croyaient être une ancienne mine mais qui n’était en fait qu’un puits abandonné. Peu importe. La nostalgie. Il boit avec CMKK. Rien de surprenant, il trouve toujours quelqu’un pour boire et CMKK est, pour ça, encore plus trou sans fond que lui. CMKK fait semblant d’écouter mais n’écoute pas. S’en fout de ce que Wilfrid peut débiter. Quand il boit, il boit, rien de plus. Veut s’enfoncer profond dans l’ivresse qui nettoie son cerveau de toutes ses pensées négatives comme : qu’es-ce qui fout là, pourquoi qui rate sa vie de cette façon, pourquoi la jamais réussi à écrire un bouquin entier, pourquoi personne n’aime ses poèmes, pourquoi personne ne l’aime, and so on… À Wilfrid, ça lui va. Lui, il parle. L’alcool le rend bavard, du vin pénètre d’un côté dans son corps et, comme pour établir un équilibre, des paroles coulent de l’autre. Il parle et son flot de parole ne s’interrompt que pour avaler un autre verre. Sait pas pourquoi il raconte cette soirée au concert. Sait pas si CMKK en a quelque chose à foutre, si ça le branche. Rien à battre, du moment qu’il fait semblant d’écouter, que de temps en temps, il fait des signes de tête ou éructe des « ben dis-donc » ou des « ouais », ça marche. En tous cas ça lui fait remonter des souvenirs. Pas tristes. Peut-être un peu quand même, les souvenirs c’est toujours un peu triste quand même. Nostalgie. Nostalgie. La musique… La Beude… Elle elle aimait la musique. N’a jamais compris pourquoi. Encore, celle des roms du camping, ça peut aller, ça bouge, c’est coloré, approximatif et puis c’est une musique qui fait boire mais l’autre ? Surtout celle que La Beude appelait « la grande musique », n’a jamais compris pourquoi. Une musique à écouter du bout des oreilles, la bouche en cul de poule, une musique de bourges qu’ont rien dans le calcif, une musique pour castrats et jeunes greluches de bonnes familles. A toujours détesté. Faut dire qui savait même pas que ça existait avant le collège et son petit con de prof de musique qui se la pétait et leur parlait, avec des yeux qui roulaient d’extase, de « Bitte au vent » ou de « Monsieur de sainte colonne » puis leur faisait subir l’écoute de fragments de ce qu’il appelait des « œuvres ». Des œuvres, mon cul… De la merde sur disque, oui. Et on pouvait rien dire, fallait déjà rester assis, faire semblant d’écouter, faire semblant d’aimer car ce petit con de prof avait la baguette et la colle facile. Un poivrot d’ailleurs. L’arrivait bourré au collège même qu’une fois, il a balancé une gamine sur le poêle parce qu’elle chuchotait avec sa voisine pendant la séance d’écoute d’il ne sait plus qui. L’a oublié. Préfère avoir oublié. Comment qui s’appelait déjà ce petit con ? L’avait un nom de livre. Pas poème, ni bouquin, ni livre, roman, oui c’est ça, s’appelait Roman, Maurice même. On l’appelait la crampe. Allez savoir pourquoi ? CMKK se fout de tout ça, il commence à se sentir bien, commence à flotter quelque part entre le bar et le plafond du bar. Bientôt il dormira. Ce sera chouette.

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