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Écrits de Marc Hodges
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28 mai 2012

Mon père et la religion

Né dans une famille modeste de Carmaux, ville minière qui choisit Jean Jaurès comme député, passé par l’École Normale, mon père était farouchement laïque et athée plus férocement  encore. Mais ce n’était pas le cas de la famille Mazel car, si le père de famille pratiquait la religion avec une lourde nonchalance paysanne et passait le dimanche à la messe de l’église du bourg pour aller boire un verre au bistro de la place, sa femme était profondément croyante et furieusement catholique. L’un et l’autre s’en accommodaient. Mais ils avaient, ensemble, bient du mal à accepter un libre penseur. Dans la guerre larvée qui existait alors entre les croyants et les non-croyants, exacerbée encore par l’opposition impitoyable entre l’école laïque et celle « des prêtres », le curé de Rieutort-de-Randon savait bien qu’il y avait des moments particuliers où il pouvait affermir son pouvoir sur ses adversaires : un nouveau-né non baptisé était, dans ces campagnes, un être inadmissible, la fin de l’enfance ne pouvait se marquer que par la communion, un mariage, seul moyen d’en garantir la solidité, se devait d’être consacré, le divorce était inconcevable et un enterrement ne pouvait s’imaginer sans présence d’un prêtre. Mon père avait cédé, sans trop de difficulté, sur le mariage, le curé tenait donc là une occasion inespérée de montrer son pouvoir et d’avoir ensuite la possibilité de prêcher en chaire l’universalité de la puissance divine.

Mon père, même si, dès qu’il avait pu faire preuve d’indépendance intellectuelle, s’était affirmé agnostique, était baptisé comme tous les petits français de sa génération, cependant, pour bénir le mariage, le prêtre posa ses conditions, il exigea, qu’avant la célébration mon père communie, ce qui impliquait une confession. Je me souviens comment, riant aux éclats et scandalisant ma mère qui n’appréciait en rien qu’il me fasse partager ses sentiments anti-religieux, il me raconta plusieurs fois celle-ci. Le prêtre avec lequel il choisit de se confesser était le Père Boutoul, jeune prêtre, venu du Languedoc, qui avait à peu près l’âge de mon père et, pendant la guerre, avait été aumônier aux armées. De tous les prêtres du canton, c’était le seul avec lequel, dans les rares circonstances où la vie l’amenait à le rencontrer, j’ai été amener à constater qu’il discutait bien volontiers car, me disait-il, entre eux s’était même établie comme une sorte de complicité certainement due aux souffrances et aux horreurs qu’ils avaient partagées bien que ne s’étant jamais rencontrés sur les mêmes champ de bataille. Des frères d’armes : frères de désenchantement et d’amertume mais aussi de respect et d’estime réciproques, qui les rapprochant nourrissait des sentiments ambivalents entre la sympathie, la camaraderie et le reproche.

De plus, le père Boutoul avait été, comme l’on disait alors, « fait prêtre ». Sa prêtrise n’était en effet en rien le résultat d’une vocation — sur ce plan là, celle, laïque de mon père était peut-être plus authentique — mais celui de la charité intéressée d’une veuve âgée qui, pour assurer son paradis, offrait un prêtre à l’église, choisissant très jeune un enfant intelligent de milieu pauvre pour lui payer ses études à condition toutefois qu’il passe par le petit et le grand séminaire et s’engage dans la voie de la prêtrise. Je serai amené à évoquer à nouveau ce prêtre qui, dans ma, vie joua aussi un rôle particulier. Mais, chaque chose en son temps…

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