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Écrits de Marc Hodges
Écrits de Marc Hodges
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22 février 2012

De la mémoire

Je m’étais promis d’écrire, tous les jours, une nouvelle page. Il paraît que c’est ce que doit faire tout écrivain. Je n’y arrive pas : le travail, la foule douloureuse — ou moins douloureuse, ou se croyant souffrante, ou qui veut que quelqu’un s’occupe d’elle… — qui, de l’aube au crépuscule, emplit mon cabinet, les petits enfants, ma femme, le peu de temps que je dois consacrer au sport, les tracasseries administratives diverses… Bien que je le souhaite réellement, que je le désire, je n’y arrive pas.

Comme beaucoup d’autres je me dis que dans quelques années, lorsque je serai à la retraite (dois-je dire « enfin » ou «malheureusement» ?), je pourrai me consacrer sérieusement à l’écriture… Mais je sais que la vie ne fait pas de cadeaux et qu’aucun moment n’est égal à un autre : ce que je ne fais pas aujourd’hui, ce que je ne vis pas, ne sera ni fait ni vécu demain. Je le sais mais ne m’y résigne pas. J’éprouve ainsi comme une déchirure dans la conscience du temps qui passe, le sentiment profond que rien jamais ne se rattrape et celui plein d’espoir de pouvoir cependant reporter quelque chose — une part infime, mais une part cependant — à demain.

Heureusement peut-être, ma vie ne me laisse pas le temps d’être mélancolique: je suis pris dans un tourbillon de «choses à faire» qui ne me laissent, pour penser, que peu de temps. Que faire ? Je n’ai pas une fortune suffisante pour m’arrêter au bord du chemin (l’utilité de la vie inutile) — et je ne suis d’ailleurs pas sûr d’être prêt pour un tel arrêt —, je ne suis pas non plus encore assez vieux mais je ne suis pas non plus entraîné assez vite pour ne pas avoir le loisir de penser cette absence de temps de pause. Ni étourdi par les événements, ni sagement paisible, je suis dans cet entre-deux  —certainement le lot de la plupart des hommes modernes — où, sans possibilité d’y mettre un frein, je ne peux que déplorer, sans remède, le flot dans lequel je suis emporté.

Dans Les écrits de Marc Hodges je lis ce commentaire du 28 décembre 2005 à propos du texte de Marc Hodges intitulé «Mémoires insincères» de quelqu’un qui signe Jean D’Artois (un beau nom, peut-être un pseudonyme ? : "Le passé revient par morceaux, «nous sommes tous de lopins»" (Montaigne). Le passé se donne en ruines, en décombres inconstructibles; une mise en place logique pour donner ordre à ce nombre incalculable d’éléments qui se présentent au moment de la remémoration est une erreur. Et vous avez tout à fait raison, les livres bien agencés, où le souvenir impeccable d’une pensée conçue dans un autrefois lointain, sonnent faux. Certains ont encore une conception mécaniste de la mémoire (conçue comme  organe de rétention du savoir, puis de restitution de celui-ci). Or il faut renverser ce que Kant appelle la «mémorisation ingénieuse», c’est à dire la «méthode pour imprimer dans la mémoire certaines représentations». Or rien ne s’imprime tel quel, nous déformons après coup. La mémoire est un espace avec ses interstices, ses codes reçus de l’extérieur que l’on prend pour des objets intimes et singuliers. Elle est toujours cet antécédent à toute vision «objective» du réel. Tellement que le réel me paraît parfois inexistant. L’écriture permet peut-être une forme de restitution du réel, non pas tel qu’il est, mais tel qu’il se présente, et ce au moment où le mot s’inscrit sur la page. Le langage crée lui-même son objet qui se déplace en même temps que le mot défile pour découvrir alors une réalité qui se tient dans le retrait, dans la négation des rapports familiers entre le langage et ce qu’il veut dire. L’utilisation de la réserve personnelle d’images mémorielles engage une pensée du réel, un réel fait de trous, de coupures, où la fiction se mêle intimement au vécu, quitte à se confondre avec. Votre texte donne à réfléchir, sans forfanterie, je dirais volontiers que vous vous engagez dans la voie de la vérité, parce que les vides, le doute s’insère dans vos phrases. Cela vaut plus que toutes les littératures-vérité qui dupent leurs lecteurs (les prenant alors pour des imbéciles) avec cette prétention à la restitution intacte du passé, de leurs pensées d’antan.»

Ce commentaire est si proche de ce que je pense que j’aurais pu l’écrire sauf que, certainement, je n’en serai pas allé jusqu’à réfuter le réel qui me semble au contraire la seule ancre qui nous retienne dans cet océan de doute.

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