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Écrits de Marc Hodges
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20 février 2012

Conclave

— LXX —

San Pedro da Roda, dimanche 27/12/2015, 21:43:35

Le Maître Siger de Brabant est assis dans son fauteuil sous un immense écusson en mosaïque représentant un espadon d’azur sur fond d’or. Dans la grande pièce blanche voûtée du vieux monastère de San Pedro da Roda, il est seul. Face à lui, sur la surface du mur, se projette un écran écartelé en quatre quarts. Dans le premier, sous un écusson représentant un filet d’or sur fond d’azur, Taddeo da Parma dans son hôtel de Sion. Une horloge digitale indique vingt et une heure quarante-trois. Dans le deuxième quart, sous un écusson représentant un sablier d’or sur fond d’azur, Boèce de Dacie. Son horloge indique la même heure. Dans le quatrième quart, où l’écusson représente une église d’or sur un fond d’azur, à Zagorsk, Jean de Jandun. Son horloge indique zéro heures quarante-trois, le 28 décembre. Les quatre personnages, nue tête, crânes rasés, sont vêtus d’une longue robe ample grège. Dans le quatrième quart, l’écran noir n’affiche qu’un mot: SARPEDON.

Le plus âgé des quatre personnages semble être Jean de Jandun. Il prend la parole le premier.

- Mes frères, comme chaque dimanche, communiant avec la divinité dans la puissance de l’intellect commun, nous voici réunis pour prendre, pour l’ensemble de nos frères, les décisions les plus justes. Le moment est grave. Vous avez tous appris, hier, la décision irrévocable de notre Grand Maître de s’unir à l’immatérialité de l’esprit. Vous savez que c’est maintenant chose faite : comme le symbolise son absence à notre communion, notre Grand Maître n’est plus parmi nous. Notre première tâche est de lui désigner un successeur, puis de trouver un successeur à ce successeur même. Comme doyen de cette assemblée, je présiderai aux cérémonies des élections mais, d’abord, à notre prière. De la communauté des esprits, par sa puissance collective, approchons-nous au plus près de l’esprit divin jusqu’à nous y confondre.

Jean de Jandun fait un geste. Les quatre zones de l’écran de Siger de Brabant ainsi que — au même instant — celles des écrans des trois autres Maîtres s’effacent. Comme par un effet de zoom, les images des Maîtres se rapprochent, les quatre figures occupent d’abord chacun une partie de l’écran puis, insensiblement, devenant transparentes, se superposent, se fondant en un visage unique qui, n’appartenant à aucun des Maîtres forme un visage commun. Derrière ce visage s’esquisse un planisphère. D’abord lointain, comme fond, il émerge lentement de l’écran. Le visage, transparent, reste sur lui visible. Puis, montant comme bulles du fond d’un étang, des multitudes de points semblent émerger de tous les lieux du monde. Chacun d’eux, à un compteur affiché dans l’angle inférieur droit de l’écran, ajoute une unité. Minuscules, puis se rapprochant, ces points grossissent révélant autant de visages différents qui, passant trop vite pour que l’œil en saisisse les particularités, viennent, l’un après l’autre, se fondre dans le visage commun aux Maîtres dont ils modifient constamment l’aspect. Au bout de quelques secondes, comme si l’univers avait émis tous ses possibles, cette effervescence se calme. Le visage sur l’écran est celui, étrange, humain-inhumain, d’un homme peut-être efféminé d’une trentaine d’années, à la peau brune, et dont on ne saurait dire si les traits sont plutôt européens, asiatiques ou africains tant il semble, à la suite de siècles de métissage, appartenir à tous les individus de toutes les races. Au bas de l’écran, le compteur indique trois millions trois cent vingt-quatre mille deux cent soixante-neuf. Le planisphère s’éloigne. Le visage redevient opaque, s’illumine lentement, et comme s’il fusionnait avec une puissante énergie lumineuse, se condense en une abstraction de visage à peine perceptible sous la violence du rayonnement.

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