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Écrits de Marc Hodges
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1 février 2012

Communiquer

Quel mot employer? Quel mot précis peut traduire ce que je ressens en ce moment, par exemple la douleur qui perturbe mon coude gauche? Mon médecin parle de «tendinite» — lorsque j’insiste d’épicondylite ou, selon les cas, d’épitrochléite — et lorsque je dis cela à un de mes proches, je me rends bien compte à leurs attitude que ce terme médical qui se veut précis est d’une imprécision absolue. Certains en effet se comportent alors avec moi comme si j’étais infirme: «laisse-moi porter ton sac… tu devrais arrêter de taper à la machine… ne va pas à la piscine pendant quelques temps…». D’autres au contraire prennent cette annonce avec une grande légèreté: «C’est trois fois rien, j’en ai eu une à la jambe droite… il faut attendre, ça passera tout seul… j’ai toujours une tendinite quelque part, c’est rien, absolument rien…»…

Je n’ignore pas, bien entendu, que toute douleur est psychologique, donc individuelle, mais à quoi servent les mots si l’on ne peut communiquer à autrui ce que chacun de nous ressent d’une façon particulière ? J’aimerais trouver un mot qui désignerait une « tendinite du coude gauche avec une douleur d’intensité 3 » et qui pourtant n’aurait pas la sécheresse des termes techniques mais je crains qu’il n’y ait pas de moyen terme…

Cette imprécision des mots est générale. Elle oblige l’homme qui veut communiquer à inventer des stratégies de substitution — la poésie en est une ou, plus généralement, la littérature — qui malheureusement ne peuvent avoir de valeur universelle. Cette imprécision générale des mots, la nécessité où je me trouve pour essayer, dans ce journal, qui est mon journal, de ruser avec la communication, me rendent anxieux : comment être sûr de me faire comprendre. Or, sans cette certitude, à quoi bon communiquer ?

Il y a quelques jours, je parlais ainsi de mes «petits rituels», depuis ce terme me préoccupe : avez-vous compris que les actes dont je parlais étaient «organisés d’une manière obligatoire et précise» ou «selon les règles d’un livre qui doivent être observées à la lettre» ou «obéissaient à des règles liturgiques précises» ou «selon une pratique immuable liée à des coutumes», etc… Tout est différent; tout est pareil; car il y a là plus que des nuances. L’image que vous pouvez vous faire de moi en dépend totalement: être religieux dépossédé de ses choix par des lois externes, individu-robot qui ne remet jamais en cause ce qu’il a acquis dans sa culture, personnage obsessionnel et méticuleux… Nommer c’est trahir, décrire c’est trahir… Mais comment faire autrement si l’on ne veut pas que chacun d’entre nous soit une île aux falaises sans failles ?

Le seul fait d’essayer de dire avec précision ce que nous ressentons, à tel ou tel moment précis, sur tel ou tel fait, acte ou événement, nous confronte à l’impuissance des mots: nous ne pouvons faire autrement que communiquer des mensonges, mais ce sont ces mensonges qui sont notre vérité.

Je suis porté à l’introspection: j’aime comprendre comment je vis ce que je vis et ne rien me cacher de moi-même. Si je le pouvais, je m’allongerais sans cesse sur mon propre divan pour m’écouter parler de ce qui m’a fait ce que je suis. Non que je me considère comme l’être le plus intéressant de la terre, non que je pense découvrir en moi des secrets ignobles profondément enfouis, mais parce que j’éprouve un besoin absolu de savoir et ne supporte que très mal de subir ma vie plutôt que de la diriger. Fantasme de puissance? Je ne crois pas car je n’ai jamais cherché ni les honneurs ni le pouvoir et si j’ai été mêlé à quelques événements historiques, c’est malgré moi parce que, par ma naissance dans une famille d’artistes, j’ai dû fréquenter des milieux de pouvoir et, parce que, mon amour des femmes m’a conduit à nager en des eaux où je n’aurais jamais dû me trouver. Être l’amant d’Oriane, la femme du Général Proust, m’a ainsi mis dans des situations historiques que j’aurais plutôt aimé fuir. C’est ainsi!

Mais si, comme tout le monde, je n’ai pas choisi le destin qui nous fait toujours malgré nous, je n’ai jamais renoncé à comprendre ni son pourquoi ni son comment. Emporté par les flots tumultueux d’un fleuve en furie, je chercherai toujours à comprendre les mouvements erratiques qui me pousseraient de rocher en rocher ou me feraient tourbillonner sur place…

Pourtant il y a encore quantité de mes actes que je ne comprends pas. Ainsi ce blog… Je ne parviens pas à comprendre d’où vient ce besoin qui, de temps en temps, m’oblige d’une part à rédiger un journal et, d’autre part, à le déposer dans les pages virtuelles d’un instrument de communication des plus théoriques. Bien que médecin généraliste en retraite, je ne suis pas plus techniquement stupide que la plupart de mes contemporains: je n’ignore pas que les textes que je dépose ici sont des bouteilles à la mer dont la plupart iront se perdre dans les amas de détritus que les marées déposent, s’enliseront dans les sables de côtes désertiques ou se fracasseront sur des rochers de côtes inaccessibles. Et je n’ai plus seize ans: je ne crois plus aux récits romanesques où des messages envoyés sur les flots font découvrir des trésors ou sauvent des naufragés… Alors? Pourquoi cela? D’où vient ce besoin d’écrire, plus encore ce besoin de croire publier ce que j’écris? Exhibitionnisme? Certainement pas puisque personne ne les voit… Masochisme? peut-être: je chercherais une satisfaction à produire un travail que, d’avance, je sais inutil !… Est-ce si différent que d’envoyer, par la poste, un manuscrit à une quelconque maison d’édition? Esprit moutonnier: faire comme ces millions de mes contemporains qui déversent sur Internet une vomissure de textes qu’heureusement personne, à part eux-mêmes, ne lit jamais.

Peut-être, au fond des choses, je ne fais tout cela que pour essayer de comprendre pourquoi je le fais et que je ne serai guéri de cette graphomanie compulsive que lorsque j’aurais compris. En quelque sorte le symptôme de la maladie serait dans l’acceptation de la maladie elle-même. Il y a tant de pistes qui se perdent dans la jungle de l’esprit humain…

Si j’avais la réponse?

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