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Écrits de Marc Hodges
Écrits de Marc Hodges
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19 décembre 2011

Moi et les autres

Je suis — du moins c’est ce que m’affirment, la mine gourmande et parfois un peu jalouse — quelques uns de mes amis revenant de tel ou tel pays du monde ou participant à telle ou telle rencontre. Bien que j’ai quelques difficultés pour appliquer ce qualificatif à moi-même, je dois reconnaître qu’il y a du vrai dans ces remarques: j’ai publié un certain nombre d’ouvrages dont certains ont eu des prix littéraires — et le succès public qui va avec —, de nombreux universitaires ont écrit sur «mon œuvre», des étudiants ont rédigé à mon sujet des mémoires de recherche et des thèses, on parle de moi dans de multiples conférences de par le monde, je suis passé plusieurs fois à la télévision, de nombreux journaux et magazines m’ont interviewé, ont parlé de moi ou de «mes travaux», j’ai été membre de plusieurs jurys importants dans la vie culturelle, invité par des musées, des théâtres, des universités, des festivals dans divers points de ce globe dont j’ai fait plusieurs fois le tour, des dizaines de milliers de pages parlent de moi sur Internet sans compter celles-ci ou je le fais moi-même… je suis dans le Who’s who, des essais me citent, des écrivains font référence à mon travail, me prennent comme personnages de leurs écrits ou parlent de moi de façons diverses. Bref j’occupe sur le territoire de la médiatisation une petite parcelle.

J’aurais pu être beaucoup plus célèbre encore, comme le disait un ami écrivain connu sur le ton de l’incompréhension: «il pourrait être le pape dans son domaine…».

En effet, j’aurais pu, si je l’avais voulu, être intégré à la vie mondaine dont diverses coteries m’ont souvent invité, faire partie des cercles politiques pour lesquels j’ai travaillé un temps, être dans divers comités de rédaction, être franc maçon comme on me l’a proposé, diriger une institution ou une autre… atteindre cette dimension de la vraie célébrité qui fait que tout journaliste pour quelque sujet que ce soit, pense immédiatement à vous. Je ne l’ai jamais désiré.

Tout cela est en effet toujours resté en-deçà de mon désir et si, pour des raisons financières, parce qu’il fallait bien donner à ma famille un confort minimal, j’ai de temps en temps cédé aux chants de l’une ou l’autre de ces sirènes, jamais je n’ai trouvé en moi l’appétit, la force, de faire ce que j’étais conscient qu’il fallait faire pour passer au cran au-dessus. Il y a en moi un double qui voit toujours le côté dérisoire des choses et m’interdit d’aller plus loin. Je suis un être solitaire qui se débat comme il le peut dans sa question existentielle: manger une feijoado dans une rue populaire grouillante de Rio de Janeiro où je ne dois pas être pas observé mais observateur, où je peux me laisser aller aux mille petits plaisirs de la vie — le soleil dans le dos au printemps, les sonorités d’une langue étrangère, les odeurs inconnues, les saveurs nouvelles, l’infini des visages…


Au-delà de ça, peu de choses comptent qui vaudraient que je perde une seconde du présent de ma vie que, de toutes façons, je sais condmanée à être trop brève.

Que savons-nous en effet des autres quand nous croyons savoir quelque chose d’eux ? Pas grand chose… Nous ne savons que ce que nous croyons savoir ou ce qu’ils ont bien voulu nous laisser savoir. Rêvant sur mon passé, sur tous les êtres que j’ai aperçu, croisé, ceux qui m’ont entouré, m’ont élevé, avec lesquels j’ai vécu, je suis bien obligé d’admettre que, même des plus proches, je ne connais de leur vie que des miettes et que, pour l’essentiel, ils m’ont échappé et continuent à la faire. Et, pour certains, pour ceux qui sont partis ou morts, cette perte est irrémédiable…

Mais que savent les autres sur moi ? Que savait de moi ma mère, mon père, ma grand-mère, mon grand-père, mes oncles ? Tous ceux qui se sont longuement occupés de moi mais auxquels, cependant, je n’ai jamais cessé d’échapper ?

Toute vie est solipsiste: même s’il pense qu’il en est autrement, chacun de nous ne vit que par (et parfois pour…) lui-même, le temps de chacun ne se partage pas et les mots sont impuissants à rendre la complexité, la multiplicité, les bifurcations d’une vie. Et ce d’autant que chacun de nous, comme le dit Rimbaud, est un autre, plus exactement même une multiplicité d’autres. Je peux être un individu charmant, enjôleur, gentil, apprécié de tous et, la minute d’après un affreux égoïste seulement préoccupé par la satisfaction immédiate d’un besoin, quel qu’il soit… Je n’ai pas vécu une vie, mais une infinité de vies, je pense et je ne pense pas, j’aime et je n’aime pas, je joue et je ne joue pas. Sans cesse l’existence m’offre des bifurcations que j’emprunte ou non, des voies ouvertes ou des voies de garage. Comme vous tous, je suis un caméléon…

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