Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Écrits de Marc Hodges
Écrits de Marc Hodges
Visiteurs
Depuis la création 98 749
Archives
17 décembre 2011

Solidité des passions contrariées

X-Sender: jbalpe@mail.away.fr (Unverified)Date: Fri, 27 Apr 2001 23:48:57 +0100
To: jbalpe@away.fr
From: Jean-Pierre BALPE <jbalpe@away.fr>
Subject: Mail-roman "Rien n'est sans dire", courrier N° 17

«Te souviens-tu de Zita?», la voix de Stanislas me sembla avoir changé d’inflexion, elle me semblait contenir une légère nuance de tendresse et, un instant, ses yeux oublièrent de fureter en tous sens, «Je l’avais rencontrée en 1980, le mois avant notre premier séjour à Erigmore Castle, tu t’en souviens, n’est-ce pas, car je sais que je t’en avais parlé ? Comme tu te souviens certainement de Fidèle…» La nostalgie étant ce qu’elle doit être, un attendrissement puéril sur un moment passé de l’existence, si je me souvenais de Fidèle, ce n’était que comme d’un vague flirt ancien qui me confortait dans l’idée que j’avais dû être séduisant — pensée qui, a plus de quarante ans, ne pouvait que m'émouvoir. Je n’avais pas de photo de Fidèle — à vingt et un ans, on ne collectionne pas encore ses maîtresses — je ne me souvenais pas non plus d’en avoir vu de Zita: je le lui dis… «Je n’ai jamais eu de photos de Zita, me répondit Stanislas, elle refusait. Zita disait que, pour vivre pleinement le présent, il fallait laisser le passé s’effacer, qu’il ne servait à rien d’essayer de le retenir — la vie est toujours devant disait-elle, je ne sais pas regarder en arrière ; ce qui m’intéresse, c’est faire, non contempler ce qui a été fait…— elle était ainsi… Je crois qu’elle ne s’est jamais laissé photographier » Ne l’ayant jamais rencontrée, je ne connaissais d’elle que ce que, pendant plusieurs années, il m’en avait dit au cours de nos nombreuses rencontres. "Depuis notre première rencontre à Tachkent et après quinze jours passés ensemble, j’étais amoureux fou de cette fille : elle avait dix-neuf ans, était belle, simple, intelligente, parlait très bien russe, roumain, français. Aussi, quand elle a dû repartir pour Bucarest, je ne souhaitais que de la revoir. Mais tu sais combien c’était difficile: la Roumanie d’alors n’était pas très ouverte, aller de France à Bucarest relevait de l’exploit; mon père vivait en Écosse, ma mère était à Damas avec André Thiré-Miny, son mari de l’époque et j’avais encore un an pour finir Supélec… Nous nous sommes beaucoup écrits… Fille d’un apparatchik roumain, elle s’arrangeait pour me faire parvenir ses lettres par des circuits plus ou moins officiels. Nous étions amoureux, nous nous envoyions des poèmes en russe ou en français…» Je sentais que Stanislas prenait un plaisir intense à évoquer, une fois encore, cette fille dont l’existence relevait pour moi plus du mythe que de la réalité. Combien de fois en effet ne m’en avait-il pas parlé? Et pourtant… Les amours contrariées sont les seules qui durent: elle était dans mon souvenir comme une Juliette dont il était le Roméo et je ne pus jamais imaginer, à l’expression de leur passion, une fin autre que tragique.

Publicité
Commentaires
Publicité
Derniers commentaires
Publicité