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Écrits de Marc Hodges
Écrits de Marc Hodges
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17 septembre 2011

Séparations

- VI -

Divorcer n’est rien car la vie est faite de séparations constantes, on quitte ses parents, des amis nous abandonnent sans cesse et nos enfants s’éloignent à son tour, comme il faudra, à tous moments, se séparer de ses petits enfants malgré toutes la force des attaches qui nous les rend précieux. Se séparer d’une femme. Se séparer d’une femme qui est la mère d’un ou plusieurs de nos enfants, n’est guère plus difficile et l’on doit pouvoir se dire adieu sans pour autant effacer tout ce qui a été bâti ensemble. Ainsi pense Constantin. Le modèle traditionnel du couple est un modèle archaïque qui n’avait de sens que lorsque la femme était dépendante ou lorsqu’un lignage ou un patrimoine important était en jeu. Pour le reste…

Pourtant tout homme est un être de contradictions et de déséquilibres et il est bien rare que raison et intelligence soient les deux seuls gouverneurs de nos existences. Ainsi, dès son premier divorce, si la décision du divorce lui avait été facile, s’il avait su convaincre son épouse que ce serait mieux pour tous les deux, Constantin avait-il dû affronter de petites difficultés auxquelles il n’avait même pas songé. Les lendemains du divorce avaient été plus difficiles que le divorce même, ces jours où sa femme, celle qui était maintenant son ex-femme devait s’installer ailleurs que dans l’appartement qui était celui de Constantin. Il s’était toujours cru détaché de la matérialité des choses et il lui semblait qu’il lui serait facile de se passer de certaines d’entre elles : prends ce que tu veux, je n’ai besoin de rien… Venue avec des caisses et des amis qui devaient l’aider à transporter « ses » choses, elle avait donc d’abord pris tous ces vêtements, tout son attirail de beauté, elle avait emporté le fer à repasser, mettait dans une caisse l’aspirateur, une poêle, quelques casseroles et Constantin regardait tout cela d’un air indifférent : il ne repassait jamais et donnerait ses vêtements au pressing, il ne passerait jamais l’aspirateur ce qui était du ressort de la femme de ménage et, avec elle, il saurait s’arranger. Elle avait mis dans ses caisses des vases, une partie de la vaisselle, son ordinateur, ses dossiers : Constantin regardait tout cela d’un air indifférent, l’aidant au besoin à rouler dans du papier journal les objets qui lui paraissaient fragiles. Il éprouvait même une certaine satisfaction à se prouver ainsi qu’il était à la fois généreux et détaché des choses, se disant que l’homme n’est dans la vie que par lui-même et non par les inpedimenta qui peu à peu resserrent son espace de liberté.

Pourtant, quand elle avait commencé à s’attaquer à la bibliothèque, il n’avait pu s’empêcher d’abandonner son masque d’indifférence : — Ah non, pas le Tom Wolfe, tu sais bien que c’est moi qui l’ai acheté, d’ailleurs, regarde, je l’ai couvert de notes. — Ok, je te le laisse… dit-elle en commençant à prendre quatre des 40 volumes des « Poëtes français », édition de 1822.— Tu ne vas pas me dire que tu t’intéresse à la poésie française du XVIII ème siècle, ne put-il s’empêcher de protester, tu me les as offerts pour notre premier anniversaire de mariage. — Justement, c’est moi qui te les ai offert, il est évident que c’était pour notre mariage, et comme le contrat est rompu… — Tu es un peu vache (il aurait voulu dire salope mais se contrôla de peur que la sérénité de leur divorce éclate devant ses amis), c’était un cadeau et j’y tiens, c’est une magnifique série. — Tu te la rachètera… (il sentait dans le ton qu’elle mettait à cette phrase, comme une satisfaction revancharde où il devenait soudain évident que son acceptation du divorce n’était peut-être pas aussi simple que ce qu’elle affectait). — Complète ? Tu sais bien qu’elle est introuvable. — Alors tu t’en passera…

Il s’était alors retiré dans son fauteuil affectant l’indifférence mais ne pouvant s’empêcher de souffrir chaque fois qu’elle enfermait dans une caisse un des livres auxquels elle savait qu’il tenait.

Plus prudent, par la suite, il n’acheta plus que des livres d’occasion ou de poche et lorsqu’intervint le divorce avec Émilie, il s’inquiétait peu des livres qu’elle aurait pu vouloir prendre. Et d’ailleurs elle n’en prit aucun. Mais comme si chacune de ses femmes avait su trouver un point douloureux, elle commença à décrocher des murs un certain nombre de gravures.—Émilie, tu exagères, pas celle de Marco, il me l’a offerte au dernier Noël. — il NOUS l’a offerte au dernier Noël. — Mais Marco est MON ami. N’était-il pas devenu le nôtre ? Il avait alors assisté au sacage de ce qu’il considérait comme sa collection personnelle.

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