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Écrits de Marc Hodges
Écrits de Marc Hodges
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30 juin 2011

Deux anecdotes

Toute vie est pleine d'anecdotes mais les plus intéressantes ne sont pas obligatoirement les plus dignes d'être racontées. Qu'importe, j'ai décidé de révéler ainsi ce que je connais de Balpe. Par exemple, qui peut douter de l'importance sur la conduite d'une vie des deux suivantes:

Balpe a entre dix et douze ans (cette anecdote m'a été rapportée par quelqu'un de sa famille à qui je faisais croire que je préparais une biographie du personnage).

C’est un enfant solitaire. Pas de copains. Ou peu. Il vit comme un sauvage, part des après-midi entières se promener dans la montagne qui enferme la petite ville où il vit. Il peut y passer des heures, allongé sur la mousse à l'abri de buissons impénétrables ou sur un éperon rocheux isolé et d'accès difficile, à rêver. Quand on l'interroge sur ce point, il répond qu'il "se raconte des histoires" même si jamais personne n'a eu la moindre idée des histoires qu'il pouvait bien se raconter ainsi. Il n'écrit pas, ne tient pas de journal intime.

Un de ses jeux favori est, en classe, de s'immerger dans une absence évidente, ce qui a le don de mettre en fureur ses professeurs. Pourtant la plupart ne le dérangent plus car, s'ils le font, par exemple : "Balpe qu'est-ce que je viens de dire?" ou Balpe, "quoi rêvez-vous?" ou "Balpe, au tableau…" cette interruption dans son activité mentale tourne toujours à leur désavantage car, malgré le profond désintérêt que cet élève leur manifeste, il a toujours réponse à toutes les questions, sait toujours ce que le professeur vient de faire, répond invariablement: "Monsieur ou Madame je bois vos paroles…" ce qui rend ses camarades hilares. Le Professeur, lui, n'a plus qu'à prendre acte: Balpe est un des meilleurs élèves et suit attentivement les leçons… Pourtant, ils ne peuvent se défaire de l'impression des plus désagréables qu'il se moque d'eux, vit l'essentiel de son temps dans un monde auquel ils n'ont pas accès.

Plus tard : il est jeune, autour de 18 ans. Il est étudiant. La vie lui sourit : pas de problème d'argent, des études plutôt faciles, du temps libre, des amis, il a commencé à écrire des poèmes, créé une petite revue, il correspond avec des écrivains alors célèbres qui ne le maltraitent pas trop, ses profs à l'Université ne tarissent pas d'éloges bien qu'il ait l'impression de ne rien faire. Bref la vie lui est juteuse et facile. Il vit au soleil, les sorties avec copains et copines sont l'essentiel de ses préoccupations. Beaucoup l'envient. Il le sait et ça lui va bien.

Un jour, un matin de printemps, vers onze heures, il se dirige sans hâte vers la faculté où il doit assister au cours d'un Prof qui le passionne. Mais rien ne presse: il vient de boire un café dans un petit troquet, de parcourir le quotidien du jour. Il marche dans la rue au soleil. Soudain, devant lui, à une dizaine de centimètres de sa tête, un fer à repasser vient s'encastrer dans le bitume de la rue, y creusant un petit trou. Au-dessus de lui, au cinquième étage, une fenêtre se ferme. Il aperçoit vaguement une tête de femme qui se retire. Il vient d'échapper à une mort stupide, crâne fracassé par la chute d'un fer à repasser.

Désormais, le sentiment de l'aléatoire et de la fragilité absolue de la vie humaine ne le quittera plus lui donnant ce recul par rapport au réel, cette indifférence devant les malheurs — ou les accidents — de la vie que connaissent bien ses amis. Toute sa vie sera pilotée par ce fait minuscule.

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