Envie de pisser

Envie de pisser, envie de pisser, envie de pisser, Wilfrid a l’impression que c’est cette phrase que les violons moulinent à l’unisson de leurs mécaniques trop bien réglées. Il essaie de penser à autre chose, regarde la petite violoniste poupée de porcelaine au sourire automatique comme gelé, s’efforce de deviner son corps dans la gaine verte, trop verte de sa robe, s’attarde sur ses épaules très blanches, devine ses seins dans le galbe que cache le violon qu’elle agite en tous sens, mais l’envie de pisser insiste, envie de pisser, Wilfrid n’est plus qu’une envie de pisser, il croise ses jambes, essaie d’agir sur ses muscles ventraux, s’efforce de rester zen, écouter cette musique qui ne lui dit rien comme si elle parlait une langue étrangère, se dit que les chansons tziganes des gypsies du camping ont une autre allure, qu’elles font participer tout le corps, remuent les tripes, dénouent les crampes, tordent les boyaux, que tout ça c’est rien que de la foutaise pour les gens qui n’ont rien à foutre comme la bourgeoise qui lui bloque le passage, le gamin sage, le vieux bourgeois à nœud papillon, ou encore cette femme digne, bijoutée jusqu’au cou qui, les yeux fermés, semble attendre le saint sacrement… Lui il a envie de pisser et ça commence à bien faire, envie de pisser. Enfin la musique s’arrête, le mec sur l’estrade se retourne, s’incline, écarte encore les bras, montre de la main droite la violoniste verte. Ça applaudit de partout, on entend même des aboiements « ao… ao… ao… ». Wilfrid ce demande ce qu’il fout là, regarde La Beude, joues roses, sourire satisfait, elle se penche vers lui, chuchote : « chouette, tu trouves pas ? ». Veut pas trop la décevoir, il dit : « j’ai envie de pisser, horrible ce que j’ai envie de pisser. » « Toi alors, tu ne changeras jamais… une minute, c’est l’entracte, tu vas pouvoir y aller. » « Pas trop tôt, je vais déborder… j’en peu plus…». Il ferme les yeux, se concentre sur sa vessie. Yoga. Maîtrise du corps. Va te faire foutre, il a encore plus envie de pisser.