Récit de Stanislas
J’étais très occupé hier soir, peut-être même, un peu
bouleversé par tous ce qui m’arrivait, aussi tu m’excuseras de n’avoir pas
continué ma correspondance mais, outre que ma fatigue après la rencontre
européenne sur l’avenir du livre, m’a contraint à me reposer pour donner ma
conférence d’aujourd’hui, je ne suis plus jeune et il n’est plus dans mes
coutumes de passer des nuits blanches… J’ai décidé en outre, pour ne pas user
ta patience, parce que je sais le peu de confort de la lecture sur un écran, de
ne t’adresser que des courriers brefs. Me permettras-tu aussi de mêler ma
correspondance privée à cette correspondance quasi publique et de souhaiter
aujourd’hui un bon anniversaire à celle qui ne manquera pas de se sentir
concernée.
J’ai revu Stanislas ce matin: il était devant
l’entrée de l’hôtel Aldon où je lui avais dit résider. Si tu te souviens de
lui, il semble toujours prêt à se casser tant il est grand et maigre. Sous la
petite bruine encore froide qui alourdissait la ville en ce matin d’avril, il paraissait
vraiment pitoyable et je me demandais ce qu’il pouvait attendre de moi en plus
du café que, avant de prendre le métro, je lui offris dans un bar tout proche.
Il avait l’air encore plus anxieux, plus seul, plus bouleversé, si cela se
peut, qu’il ne l’était hier mais aussi, devinant à son attitude combien il
était indécis, je me gardais de l’interroger le laissant, autant qu’il le
souhaitait, parler de lui-même. L’heure de ma conférence approchant, lorsque
nous nous sommes séparés, il m’a demandé quand je quittais la ville. Lui ayant
dit que je devais demain, en début de matinée, reprendre mon avion pour Paris,
il a insisté pour que nous dînions ensemble. J’ai accepté et, parce que pour
moi c’était plus pratique, lui ai proposé mon hôtel mais, pour une raison qui
m’échappe encore, il a refusé, préférant me donner rendez-vous, du côté
d’Hackescher Markt, dans un petit restaurant situé sous les arcades du métro.
Au cours de ce dernier repas, il a poursuivi son récit
mais comme, devant ses complications et ses invraisemblances, mon regard devait
manifester un certain scepticisme, il m’a soudain tendu une enveloppe me
faisant jurer de ne l’ouvrir que le 15 avril. Dans l’attente de ma réponse, il
semblait tellement anxieux que je lui ai promis, sur notre très ancienne
amitié, qu’il en serait ainsi…
Vers minuit, nous nous sommes quittés: je lui ai
donné ma carte lui disant de ne pas hésiter à me contacter mais, comme, depuis
douze ans, il n’en avait rien fait, je pense que dans le futur il en sera de
même et que je risque fort de ne plus avoir de ses nouvelles.
Après m’avoir raccompagné jusqu’à mon hôtel, il a disparu
dans la nuit.