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Écrits de Marc Hodges
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27 janvier 2011

Le Mas Saint-Pierre, 6 heures 53

A cette heure, c'est le désert et le silence, André Pagés a le désir de voir arriver quelque chose. Monde vert-noir. Des nuages pommelés couvrent à demi le ciel, leur frange supérieure découpe doucement le soleil. Il se rappelle, il sourit, il respire. Vert-ocre et beige… Il ne sait s'il est en train de sauver le passé ou de le détruire. Merveilles, brebis, attente. Son temps lui est personnel et privé… Il y a dans l'air comme une sourde grandeur de vivre. Il se sent sot et lourd. Le plateau n'a pas dit son dernier mot. Il entend résonner en lui une langue qu'il ne parle pas. Il n'est jamais au-dedans, ni tout à fait en dehors. Un petit cri, un battement d'ailes, un remuement dans l'herbe suffisent pour qu'il lève les yeux et reste l'oreille tendue.

André Pagès connaît le bonheur d'être celui qui guette, il longe un champ de grandes orties vivaces occupant l'espace d'un ancien enclos à moutons, sait qu'il va mourir, ne laissera ici nulle trace. D'un geste vif de son bâton, il coupe la tête des chardons. Dans sa timide pudeur, la nature bronche, se dérobe. André Pagès ne veut renoncer à rien, prend la vue à témoin. Sa mélancolie vient de la lucidité du cœur. Il est lien, relation, rien d'autre, impuissant à maîtriser le magma de sensations qui se bousculent dans son esprit. Il pourrait quitter tout cela, ne s'y résigne pas. Terre terre brûlée… Les forêts et les rochers se taisent.

André Pagès comprend aussi la pureté du malheur: ses parents persistent à grandir en lui. Il regarde calmement la fleur légèrement mauve et dérisoire d'un chardon perdu au bord du chemin. Apeurées, prêtes à fuir, les brebis lèvent un instant la tête à son passage. C'est ainsi. Le monde est au bord de lui-même, les collines sont comme dévorées par la lèpre verte-orangées des buissons de buis, les choses ne lui sont pas muettes qui, colline après colline, transforment la beauté en distance rendant impossible de savoir quel miracle pourrait se produire.

La journée respire lentement. Son âme exulte de se sentir si proche de son retour. Il aime l'idée d'avoir pour lui seul tant d'espace. Il pense qu'il va mourir, ne laissera ici nulle trace. André Pagès bégaie dans son silence.

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