De Marcelle Santeuil à John M. Balpe
Ah, John, vous savez mal aimer. Sweet little John, je
pratique le violon à mes moments perdus et je suis persuadé, John, que quand le
dépit vous aura jeté dans mes bras, l'amour vous y retiendra, Saint-Aignan-le-Jaillard
m'obsède depuis notre rencontre; je me demande quel avenir aura lieu, je ne
passe que de mauvaises nuits - j'ai toujours vécu ici: je pense, pourquoi,
toujours occupé du soin de vous plaire, je ne trouve pas le même retour. Je
n'ai plus aucune volupté à passer sur la place Marcou; il y a trop longtemps
que je ne vous ai vu; je ne peux dire assez combien je vous aime, l'absence qui
est pour les vrais amants un supplice terrible, n'est-elle pour vous qu'un
repos; l'idée de ne pas être aimée de vous est un cauchemar que je ne saurais
soutenir; je veux juger par votre attitude des compréhensions que vous avez
pour moi, pourtant je n'ignore pas les signes de l'approche de mon abandon car
je vous abandonne mon esprit - je suis au désespoir, John; quelle lettre… quoi
qu'elle affirme, la lettre d'amour est absolue; avec vous tout avait une
existence, sans vous, tout me paraît mort; vous remplissez tous les instants de
ma réalité; je ne peux me rappeler Saint-Aignan-le-Jaillard sans trembler… tout
me dit que je ne devrais pas vous aimer mais votre vue me dit le contraire et
j'ai honte de me sentir si fragile devant vous; je suis surprise par l'effet
que produit cette tendresse qui ne cesse de me pénétrer, peut-être êtes-vous
bien loin de ce que je ressens, le cœur tout meurtri de coups, je vous force à
du désir pour obtenir de vous un sourire, je vous aime de toute mon âme; votre
absence m'angoisse et je ne sais plus rien faire… ce n'est que dans une passion
comme la mienne qu'on peut goûter un plaisir véritable - c'aitals amors es
perduda (amour perdu qui n'est pas partagé) qu'es d'una part mantenguda.
Je ne répondrai pas de moi si je ne vous vois encore.
Marcelle.