À quoi ça sert?
Il faut que j’ouvre
encore une parenthèse :
certains lecteurs — parfois un
peu agressifs — me demandent «à quoi sert ce que vous
faites?» Question de jeunes gens irréfléchis. En cette époque pragmatique, la réponse de l’utilité
— de la finalité si l’on
préfère —
renvoie inévitablement à l’argent.
Dans ce cas, ce que je fais, ne me rapportant rien, ne sert à rien. Mais si l’on y pense un tant soit peu, il n’y a pas de réponse possible à
cette question: à quoi sert
Delacroix, à quoi sert la poésie, à
quoi sert la littérature, à quoi sert l’argent lui-même?
Car au bout de la chaîne de
causalités qu’implique une telle question, la
question ultime ne peut-être
que «à quoi sert de
vivre?» Je n’ai pas de
réponse.
Devant l’insoutenable
d’une absence de réponse, l’humanité
s’en est inventée quelques unes: le progrès, ce que je fais sert à faire évoluer la conscience humaine (mais nous savons tous
que ce ne peut être en soi une
fin dernière); le plaisir, je
fais ce que je fais parce que ça
me donne du plaisir (et ensuite, à
quoi sert de se donner du plaisir puisqu’il
ne dure pas toujours); la vie en soi, la prolongation de l’espèce,
ce que je fais fait évoluer l’humanité (mais quelle est la finalité de cette évolution?) A bout de ressources, ne
restent de cette téléologie que deux possible: Dieu
(et n’importe lequel), une
entité externe qui nous mène vers un but qu’elle est seule à connaître; l’Univers,
une évolution matérielle sans visée mais lancée depuis le big bang dans une course erratique où nous ne sommes que des pions.
Alors, à
quoi sert d’écrire ce que j’écris? Je ne peux pas le savoir. A
rien certainement comme tout ce qui a été écrit
avant moi. A écrire, et c’est déjà beaucoup.