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Écrits de Marc Hodges
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25 septembre 2010

Famille

Il est fatigué de marcher, de traîner sa vie sans but d’un lieu quelconque à un lieu quelconque. Il a de grands moments de lassitude où il se demande s’il ne ferait pas mieux d’abandonner, quels qu’en soient les risques, de s’arrêter quelque part, n’importe où et d’attendre. Attendre… Il rentre dans un petit square au centre duquel trône un kiosque à musique, cherche un banc vide, s’assied, regarde machinalement les enfants qui jouent sur le plancher surélevé du kiosque, passe ses mains sur son visage comme si, cette discrète friction devait parvenir à chasser toutes les pensées qui l’obsèdent, qui tournent, tournent, retournent, dont il n’arrive pas à se débarrasser sans pour autant imaginer un début de solution à ses problèmes.

Un enfant, six ans environ, métis certainement, cheveux noirs un peu crêpus, chute en voulant monter en courant l’escalier du kiosque. L’enfant pleure, une femme, jeune, très belle se précipite, prend l’enfant dans ses bras. Il pense à son dernier fils, Louis, le petit Louis. Que doit penser Louis ? Se précipitera-t-il à nouveau un jour dans ses bras pour se faire consoler par ce père qui a disparu du jour au lendemain sans rien dire ? Femme, enfants, il a dû tout abandonner, fuir. Il n’avait pas le droit de leur dire quoi que ce soit. Trop risqué pour eux. Ils ne devaient rien savoir. Lui seul est concerné par la raison de sa fuite. Personne ne devait rien savoir. Il devait disparaître : il a disparu mais il ne peut s’empêcher de s’imaginer tout ce que chacun de ses enfants, ce que sa femme ont pu construire comme fiction pour s’expliquer cette fuite inexplicable. Marine, sa fille aînée, déjà adolescente et qu’il sait vive, curieuse, imaginative, quel roman a-t-elle pu écrire dans sa tête car il est impossible de vivre sans relier les actes des êtres que l’on aime à une chaîne de causalités. Or il ne leur a donné aucune clef, aucun indice, aucun soupçon, rien. Il est parti. Point. Et Ophélie, du haut de ses neuf ans déjà raisonnables ; et Louis, le petit Louis, comment avec ses cinq ans a-t-il pu se raconter l’absence de ce père qui aimait tant jouer avec lui et lui raconter des histoires ? De quel manque souffre-t-il aujourd’hui ?

Sa femme lui a toujours fait confiance, il aime penser qu’elle a toujours confiance en lui, qu’elle sait qu’il ne les a pas laissés sans une raison impérieuse, mais il sait aussi que la confiance, comme tous les autres sentiments dépérit si elle n’est pas régulièrement entretenue… Il faut absolument qu’il trouve un moyen de la prévenir, de la prévenir elle, au moins elle. Elle saura trouver les mots qu’il faut pour les enfants.

Pour la troisième fois, le gardien du square passe devant lui : il sait qu’il ne doit pas s’attarder. il ne doit s’attarder nulle part. Il se lève, sort du square, se plonge dans la foule des passants d’une des rues latérales.

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