Un échange banal
La suite n’est pas très intéressante à raconter: elle est des plus banales: JPB offrit à Roberte le verre de champagne qu’il était allé chercher au buffet, elle le remercia, lui sourit. Il lui demanda pourquoi elle semblait si absorbée par ce tableau cruel, sauvage, de Delacroix. Elle dit qu’elle s’ennuyait mais aussi qu’elle le trouvait beau, que la blancheur presque irréelle du corps des femmes — que ce soit celle enchaînée au cheval ou celle (apparemment morte) sur laquelle rampait un nourrisson — avait quelque chose d’irréel, que, dans la mort, la plupart des personnages du premier plan manifestaient en fait le triomphe de l’amour et barraient la route au cavalier menaçant. C’était pour elle une toile optimiste, quelque chose comme le triomphe de l’amour sur la mort.
Ils parlèrent
ainsi de cette toile quelques secondes et de leur accord intellectuel naquit
une certaine sympathie. Elle lui dit: «Ne
voudriez-vous pas grignoter quelque chose ? » Il acquiesça. Ils se dirigèrent vers le buffet le plus proche; il s’insinua dans la foule,
prit une assiette de carton et la chargea de petits fours variés qu’il
revint lui offrir. Ils partagèrent.
Puis elle dit: «À mon
tour…» et revint avec d’autres
petits fours encore et deux verres de vin.
Cela dura ainsi jusqu’à ce qu’ils soient rassasiés : leur conversation avait porté sur des choses quelconques mais
ils se sentaient bien à échanger ainsi des banalités. Il la fit rire. Il lui parla de
lui, modérément et la fit parler d’elle, avec tact et discrétion. Puis elle dit: «Il faut que je rentre…». Il demanda: «Puis-je vous raccompagner?»
«Je suis à pied»,
dit-elle. «Vous allez
loin?» «Non, j’habite
à deux pas.». Ils
sortirent ensemble de la salle où
le cocktail s’achevait
mollement.