Carver décide d'enquêter
Si Jeff est en France comme le fait supposer son
actuelle adresse électronique, il n’y a pas de décalage horaire. Avec un peu de
chance il va recevoir le courrier immédiatement. À moins qu’il ne soit en
Australie. Là-bas, il doit être autour de onze heures du matin. Blaise examine
toutes les données rapportées par ses agents: une bonne centaine
d’articles sur Kharamidov. Tous vantent ses talents de cyberartiste, signalent
qu’il a été un des premiers à inventer les interventions directes sur
l’ensemble du réseau, montrent son attachement aux traditions ornementales
arabo-turques… Aucun ne parle du chiffrage de ses images. Il semble que non
seulement personne ne s’en soit aperçu mais, plus étonnant encore, que
Kharamidov lui-même n’en ait jamais parlé. Pourtant il n’y a aucun doute
là-dessus, aucun hasard ne permettrait jamais de trouver l’inscription d’un
poème ouzbek dans un codage de trame visuelle s’il n’avait pas été inscrit
volontairement. Ce mystère intrigue Carver qui ne peut s’empêcher de penser
qu’il a un lien avec la mort de Kharamidov. Bien sûr, rien ne le montre, mais
Carver a appris à se méfier des évidences. S’il n’y avait pas eu à Montréal
quelqu’un d’assez curieux pour aller vérifier les empreintes génétiques des
taches de sperme des deux morts, la police aurait sûrement conclu à
l’assassinat de Kharamidov par Jonak et au suicide de ce dernier. La piste
était trop belle, trop évidente : l’affaire tragique des amants
homosexuels. Inutile de chercher plus loin. Pourtant, c’était utile, la preuve…
Carver est bien décidé à mener sa piste en chercheur: accumuler d’abord
des informations sans idée préconçue, les analyser par diverses méthodes, en
tirer des hypothèses, les vérifier, conserver la plus vraisemblable et
conclure.
Il programme un agent pour chercher des
informations sur Alexis Jonak, en indiquant la date de naissance de façon à
réduire le nombre des éventuels homonymes. À eux de travailler, s’il existe sur
le réseau quelque chose sur lui, ils le rapporteront. Il en programme également
un pour surveiller les entrées sur les serveurs de Kharamidov, Sar Pédon et
copier le courrier qui leur est éventuellement adressé.
Sur son écran, le petit drapeau signalant l’arrivée d'un courrier s'est levé, Blaise l'ouvre:
“from jeff@schtroumpf.asean.ja to
carver@carver.carver.uk
Cher Blaise,
Bien reçu ton courrier. Ok pour travailler avec
toi. Discrétion assurée. Je ne travaille qu’avec deux autres personnes, une
Russe, spécialiste du cryptage, Irina en qui j’ai une confiance absolue. Tu
peux la mettre dans le coup, je la préviens de mon côté : “irinak@perso.siber.ru”.
Son aide est précieuse. Et avec Joseph… Aucun de nous ne se connaît directement
mais nous avons assez souvent travaillé ensemble.
En ce qui concerne tes grandes oreilles, je
t’adresse notre logiciel de cryptage. Il est assez fiable. Je suggère que le
groupe s’en serve. Pour l’ouvrir, le code est l’année de notre première
connexion. Tu auras alors toutes les explications nécessaires. Je le fais aussi
parvenir à Joseph.
Ne t’inquiète pas pour mon temps, j’en dispose et
deux meurtres sont mieux qu’un seul. Cette petite poursuite commence à
m’amuser…
Je m’occupe de tes serveurs. Tu auras directement
tout ce que j’y trouverai !
Jeff”