D'Enriqueta Ochoa à Gilles Gambier
Souvenez-vous, Gilles, que j'ai manqué de pouvoir,
Je ne pourrais vivre sans vous; faites réflexion, s'il
vous plaît, sur le comportement que je veux avoir avec vous. Del cor sospire
(dels olhs plor) - à Saint-Aignan-le-Jaillard, sur un mot que vous avez dit,
j'ai pleuré - ne vous obligez pas à être assez provocateur pour me haïr, je
n'ai plus aucune jouissance à marcher - je ne sais plus que penser. J'entrebaille
chaque souvenir au réel, amors mi ten jauzen e deleitos (parfois; l'amour me rend
satisfaite), j'ai asséché tous les sens de Saint-Aignan-le-Jaillard, un songe
m'entraîne dans les chaussées - je n'ai qu'un enfant, et pourtant il y a
quelques années j’ai même écrit des lettres anonymes pour faire savoir à une de
mes voisines que mon fils se droguait, je survis à mes attachements comme je
survis aux saisons.
Jugez Gilles, à celle de ma lettre, de mon incohérence,
je suis décidée à souffrir, ne sait pas ce que c'est qu'espérer; je change de
place… j'essaie de reconnaître, en montrant toute la bonne volonté possible,
les bontés que vous avez pour moi. Mon cœur tremble d'être vôtre, pourquoi
cette angoisse de la passion, quand il m'arrive de répéter ce que je sens, ce
que j'exige de moi, ce que je pense, vous ne m'entendez pas, vous tenez mon
être; je tremble quand j'y pense, depuis notre rencontre si merveilleuse je
tourne autour de Saint-Aignan-le-Jaillard et désespère de vous y trouver; je ne
sais plus penser sans vous… vous ne pouvez pas discerner l'horrible tourment
que vous m'infligez, je meurs du besoin de dire le vrai. Saint-Aignan-le-Jaillard
n'a pour moi d'autre raison que l'amour lui-même.
Les mots sont d'un usage plus affectif que les actions…
après tout je n'imagine rien au-delà de vos désirs. J'ai tant besoin d'amour.
Enriqueta