De la description
Dans mes dernières notes, je me suis un peu oublié
(ou plutôt laissé aller…), je me suis en effet éloigné de ce qui était mon but
principal dans ce blog : parler de Jean-Pierre Balpe. Il est vrai que
parler d’un autre, surtout d’un autre que l’on n’aime pas est plutôt
fastidieux. Aussi, au grand désarroi du rare lecteur qui doit ne plus rien y
comprendre, je me suis mis à parler de moi. Est-ce un début de processus
d’identification ? A vous de juger…
Pour revenir à mon projet, je vais ici, reprendre une
note que Balpe m’avait envoyé alors que nous étions jeunes et encore amis. Pleins
d’illusions, croyant encore en l’importance de la littérature dont nous n’étions
pas loin de penser qu’elle jouait un rôle central dans l’évolution
intellectuelle de l’humanité, nous échangions notes et réflexions. Je recopie
ici une des notes qu’il m’avait envoyée au verso d’un de ces papiers collés
qu’il affectionnait de produire à l’époque :
«J’ai un peu réfléchi sur la description. Sur
sa nécessité, sur le fait que les écrivains qui se considèrent comme des écrivains
l’utilisent sans cesse alors que ceux qui sont considérés comme mineurs en
usent peu. La description serait alors l’accomplissement de la littérature :
mettre en mots un — ou des — objets du monde… Qu’est-ce que cela révèle ?
La littérature a peur de l’action qui n’est rien d’autre qu’une
algorithmisation du flux temporel. Elle a besoin d’arrêts, de pauses, de
tergiversation. Elle doit freiner l’esprit du lecteur pour qu’il ne la fuit pas
vers la réalité. La description est généralement inutile. Contrairement à
l’action sans laquelle il n’y a pas de récit, la description est un surplus. Or
la littérature, parce que profondément inutile, ne peut être que dans ce
surplus, dans ces mots jetables, dans cet effort pour l’inutile. Écrire c’est
suspendre le mouvement du monde. La poésie a bien compris cela qui fuit toute
possibilité d’algorithme et « parle pour ne rien dire ». La
description est toujours artificielle car, par nature, incomplète. Le monde est
inépuisable. Les objets du monde sont, en eux-mêmes inépuisables. Dans la
description, la littérature trouve cet élan vers l’infini et l’éternel qui seul
la justifie. L’auteur est parce qu’il décrit. A cela pas de limites…»
Voilà… Il y a ainsi plusieurs pages que je n’ai pas
le courage de taper mais je crois que ce début, dans sa prétention, dans ses
affirmations à l’emporte-pièce, est bien prémonitoire de l’auteur prétentieux,
ennuyeux, que Balpe, suivant en cela sa propre trajectoire, a fini par devenir.