Histoire de Charles-Michel Karakouli (01)

L’origine de CMKK est douteuse car, esprit imaginatif — et parfois même imaginatif, plus encore imaginatif, pour ne pas dire fantasmatique, fantasmagorique ou rocambolesque — il est tout à fait impossible de relever, dans ses paroles ou ses écrits, ce qui relève du réel et ce qui relève de l’imaginaire. Il prétend parfois être né à Eghegnadzor, parfois à Bazargan, d’autres fois encore à Berlin (de parents turco-irano-arméniens), ou à Zougdidi ou même à Urumqi et Macao… Si à vue d’œil on lui donne entre 40 et 50 ans, il prétend ne rien savoir de son année de naissance car, prétend-il, ses parents, juifs, opprimés, n’ont eu ni le temps de la noter, ni surtout de la faire enregistrer quelque part. Cependant, sur ce point encore, sa judéité semble des plus problématiques ne lui servant avant tout qu’à s’attirer la commisération de ceux qu’il parasite. Quoi qu’il en soit, il serait arrivé (venant de Formose après avoir fréquenté les bordels de Shangaï) à Montpellier dans les années 60. Exiger plus de précision relèverait de l’enquête policière ce que le roman se refuse à faire. Sans ressources mais parlant un français parfait, sans instruction (dit-il) mais écrivant tout à fait correctement (mieux que cela, correctement), il pose son baluchon un matin à l’ouverture du camping (entre 6 et 8 heures suivant les jours et l’humeur du patron, un gros rouquin n’ayant comme intelligence que celle de compter sa monnaie). Pas de tente, le patron lui proposa pour une somme des plus modiques, la location de ce qu’il appelait un mobil home mais qui, en fait, relevait beaucoup plus de la cabane de jardin abandonnée et décrépite que d’un logement américain standard. CMKK n’est pas difficile — du moins c’est ce qu’il prétend — et s’installe après avoir versé la location d’une semaine. Il s’installe, vide la chemise, le pantalon, les trois slips, chaussettes et les quelques milliers de pages de ses manuscrits pleins de corrections, ratures, retouches, repentis, remords, révisons, variantes et autres améliorations infinies, va chercher dans une décharge une vielle table de camping boiteuse: il se sent chez lui. Entame la phase 3598 de son existence.