Haine d'écrire
Ça commence mal…Ça avance mal, ça
souffre, doucement, à petits cris retenus mais ça souffre… Depuis toujours,
haine de l’écriture. Eau tiédasse de la phrase avec adoucisseur incorporé.
Phrase apprise, longue habitude de formation universitaire. Putain de rythme
accroché au corps comme tique ou chancre. Ça doit couler sans heurts avec
alexandrin clandestin — la môme avait la jupe au ras de la moumoune —
épars, rythme toujours en tête jouant cache-cache, consistance de pus bien gras
vert souple phrase phrase autosatisfaite dans sa masturbation grammaticale,
sanies verbales encombrant les étagères de bibliothèques, excrément n’attendant
que de se déverser dans des oreilles anesthésiées par la marquise image se
pavanant dans le petit tilbury bien suspendu de la phrase. Phrase qui s’écoute
qui s’écoute s’écoute devenir phrase se prend à son propre jeu bouffant tout
autre approche possible se regardant s’écoutant se balançant pavane se pavanant
d’une langue défunte. Toute ma vie. Toute ma vie —verbe comme fléau équilibrant
la balance des mots — toute une vie à vouloir se défaire de cette merde de
cancer trouant le cerveau cru éradiqué repoussant aussitôt jetant ses
métastases dans les profondeurs du texte. Désaveu, impuissance, retour du même
sous l’avatar des différents, mots se choisissant eux-mêmes de leur
complaisante joliesse académique. Tentation de la vulgarité, du cri — merde à
la phrase, merde au texte, fuck it…— révolte adolescente et rien à voir, en
dessous ça persiste coule sous la surface s’impose en résurgences plus ou moins
attendues avec l’admiration béate des foules devant le bien écrit. Marre du
bien écrit, du beau Texte ou teXte ou tout autre fiente encore, de ces pseudos
extases pseudo mystiques pour illuminations bien gardées entre soi et petits
cénacles suffisants se suffisant de cet entre soi. Supprimer l’enflure de
l’être, se supprimer, retrancher, anéantir, détruire, éradiquer, briser… marée
des synonymes, tentation du synonyme, tentation du même-différent. Casser ça.
Casser les automatismes, casser l’automatisme par l’automate. Texte devenu
autonome sans culture, passé, mémoire, tentation, contexte, institutions.
Texte-texte sans référence tournant sans fin pour lui-même sur lui-même sans
peur ni complexe donné brut comme matière à prendre laisser lire ne pas lire
afficher diffuser texte pléthore envahissant tous les espaces possibles sans
autre intention que celle de cette invasion… seule façon de reprendre à zéro,
s’oublier dans le vide du texte, la programmation abstraite de la machine à
mémoire vide de mémoire. Faire enfin du texte-n’importe-quoi-n’importe-comment
jetable pour société sans mémoire ni lois ni morale ni phrases-miroir où se
contempler vivre dans cette pose d’écrivain écrivant s’écrivant devant des
écrivains s’écrivant se regardant écrire s’écrire s’écrivant qu’ils écrivent et
que c’est bien beau bien bon bien admirable bien prodigieux étonnant
merveilleux merveilleusement merdique. Je n’ai jamais su écrire, je ne veux pas
avoir su écrire, ne sachant pas comment enfin mal écrire, je ne veux plus écrire…