Au Nord de Brajette, 15 heures 10
La vue ici évite les transformation. Buis, ciel, corbeaux
et trio d'amour. Bréauté cligne des yeux comme s'il venait de se réveiller:
comme tout semble irréel. La vie que l'on ne soumet pas à l'examen ne vaut pas
la peine d'être vécue. C'est maintenant qu'il est chez lui. La progression de
sa marche est régulière, la lumière, blanche, n'est qu'une buée sur le ciel. Il
a envie de répondre à ses questions, pas à celle des autres, boit avidement la
volupté de voir. Vide: il suffit qu'une voix vienne pour que tout le reste soit
oublié. Parfois, isolé, un arbre torturé rappelle qu'il peut y avoir du vent.
Rien. Bréauté est là, change de place sans bruit; il n'est rien qu'œil et
oreille, prend sa couleur des choses sur lesquelles il repose. Il est parti
sans avoir eu le temps de dire adieu à personne. Les secrets perdus hésitent à
se montrer. Bréauté est devant le paysage.
Parfois le ciel est calme: Bréauté se dit que le temps va
s'étirer encore mais où trouver dans le passé des certitudes, des points fermes,
un équilibre ou un appui? Il n'est pas le seul à subir. Il observe, respire, se
sent responsable de la beauté de ce monde. Il vénère et craint le vertige.
Depuis longtemps il n'a pas connu semblable calme. Bréauté cherche dans la
solitude le chemin qui mène à lui-même; il aime la liberté et l'air sur la
terre fraîche, pense ainsi à son enfance. Il connaît ces lieux muets, fermés
sur eux-mêmes, vient pour aimer, non pour juger.
Toujours, quelqu'un qui manque auprès de lui: il y a dans
la nature des lieux où même les serpents se sentent seuls. Sur sa droite, une
vieille bergerie éventrée expose la voûte étonnamment grossière de son toit de
grosses pierres.