Capitaine Nounours (Pincesse Leïla 06)
Cette silhouette tombée
à genoux aux pieds de Korydwen s’appelait Benito Juarez. Mais personne à
Huelgoat ne l’appelait ainsi. Le nom sous lequel chacun le désignait était «Capitaine
Nounours».
Benito Juarez avait
alors vingt trois ans. Né au Vénézuela dans le Bario San Juana de la ville
andine de Mérida, c’était le huitième enfant d’une famille pauvre qui en avit
dix, il n’était allé que très peu à l’école et, comme son intelligence était
très au-dessous de la moyenne (beaucoup même considéraient qu’il était idiot)
il ne savait ni lire ni écrire. Dès qu’il avait su marcher et parler, ses
parents l’avaient d’abord envoyé mendier sur la place Bolivar à l’entrée de la
cathédrale puis, lorsqu’il avait été capable de compter un peu, vendre des
objets dérisoires : stylos billes, porte-clefs, lampes de poche,
plaquettes de chewing-gum, etc. C’est ainsi qu’il s’était découvert une passion
immodérée pour des porte-clefs constitués d’un petit ours de peluche. Il leur
attribuait un pouvoir magique et protecteur parce qu’une soirée où il s’était
un peu attardé avant de regagner la baraque de tôle du bidonville où s’abritait
sa famille et qu’un groupe de petits malfrats, à peine plus âgés que ses dix
ans, voulant lui soutirer ses gains de la journée, le menaçait de cutters, le
petit Benito avait serré dans ses mains deux de ses nounours et prié très fort
qu’ils le protègent. Le miracle se produisit : sans un mot, la bande de
gamins s’égailla soudain dans les ruelles sombres comme s’ils avaient peur de
lui. Ignorant qu’un gamin de la bande, faisant le gai à l’entrée du coupe-gorge
avait, en imitant un chant d’oiseau nocturne signalant l’arrivée d’une
patrouille de police, le petit Benito fut dès lors persuadé que ses
porte-clefs-nounours étaient des représentants de son ange gardien personnel. Aussi,
peu à peu, lorsque ses ventes étaient suffisantes pour que ses parents lui
accordent une récompense, il demandait à chaque fois de pouvoir conserver pour
lui un de ses nounours fétiches ?