L'iroquois du Goodbar
Quand Michaelis
arrive au Goodbar, qu’il gare sa voiture sur la glace tôlée et souillée du
parking surplombant la rivière, le froid l’enserre comme une amante hystérique.
Le Goodbar est un
bâtiment isolé, un hangar à bateaux désaffecté, semblable à une coque de cargo
bariolée de couleurs criardes, retournée sur un champ de neige grisâtre au bord
de la coulée de glace tourmentée du fleuve. Des pulsations rythmiques de basses
donnent l’impression que le cœur du navire moribond persistait à battre. Quand
Michaelis franchit la double porte capitonnée, il reçoit en plein crâne le coup
de poing d’une musique rauque, sauvage, qui le met groggy… La grande salle est
pleine, enfumée, surchauffée… Du plafond, des projecteurs mobiles brassent en
tous sens l’air boueux de leurs faisceaux de lumières aux couleurs crues. Au centre,
sur une estrade en S dont un côté se perd dans une des parois, dont l’autre se
termine en bar, quatre travestis, slips à paillettes minuscules, dansent. Un
peu partout des couples d’hommes, tenues très moulantes, s’enlacent. Forant son
chemin dans leur masse compacte, Michaelis s’approche du bar. Il fait signe à
un des barmen, jeune homme d’environ vingt-cinq ans, torse nu, cheveux très
courts, maquillage agressif, portant en boucle, à l’oreille droite, une très
longue plume rouge qui, dans ses balancements, lui caresse sans cesse l’aréole
des seins. Pas facile de s’expliquer dans l’orgie de musique… Michaelis tend la
photo de Kharamidov. Le barman, inclinant avec grâce la tête sur son épaule
gauche, accompagne l’ouverture souple de ses mains d’une moue négative. Il va
montrer la photo au second serveur, éphèbe iroquois, crête immense de cheveux
verts tombant en queue dans le dos, multitude d’anneaux de couleurs ourlant les
oreilles. Ils parlementent quelques secondes… L’Iroquois prend la photo.
Faisant de la tête un signe d’acquiescement, il s’approche de Michaelis,
hurle : “Oui, je connais !
Michaelis hurle
aussi : “Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?”
L’Iroquois, paume
vers l’avant, agite sa main droite, fait signe de le suivre, se dirige vers une
porte qui s’ouvre à l’extrémité du bar. Tous deux pénètrent dans un long
couloir donnant sur de petites pièces sombres. Dans leur pénombre, des
silhouettes confuses de groupes grouillants, haletants. Ils parviennent à une
autre porte. Suivant l’Iroquois, Michaelis pénètre dans un bureau aux murs
couverts de plusieurs couches d’affiches de spectacles de travestis. L’Iroquois
ferme la porte capitonnée. Le son de la musique se fait lointain, presque résiduel.