Une promenade sur la plage en février
C’est une
journée limpide de février, le soleil, encore bas sur l’horizon chauffe
cependant suffisamment la terre pour que Wilfrid ait envie de se promener :
il est parti en vélo vers un de ces soins de plage qu’il sait suffisamment loin
de toute route carrossable pour espérer s’y retrouver seul — ou presque. La
solitude le ressource. Dans le double face à face avec les profondeurs bleues
de la mer et du ciel, il peut laisser ses pensées se dissoudre dans
l’immédiateté impérieuse des sensations. Son corps est dans une bulle de
chaleur solaire. Il est bien car il n’est rien d’autre qu’un corps pleinement
vivant, un équilibre de peau, de muscles, d’os, de regards, de sons,
d’impressions olfactives prenant enfin le pas sur le désordre, le chaos trop
souvent prégnant de son cerveau. Il ne pense à rien, ferme les yeux, offre son
visage au soleil, marche sur la plage, attentif seulement à la densité du sable
sous ses pas, à la longue respiration paisible de la mer, à l’odeur d’algue et
d’iode que porte son souffle: il avance sans horaire ni but.
Il remarque, à
quelques centaines de mètres, une silhouette qui s’est allongée sur la sable,
exposée au soleil. Un promeneur comme lui s’offrant le plus possible à la
chaleur encore agréable du soleil. Wilfrid s’approche. Quelques dizaines de
mètres, la silhouette n’a pas bougé. A voir ses vêtements (jeans bleu et tee
shirt rouge) il semble que ce soit un homme. Il est allongé de tout son lot sur
le sable à la limité du ressac, dos au soleil, bras en léger arrondi autour de
sa tête : il dort ou feint de dormir. Wilfrid ne veut pas le déranger,
respecter ce désir de solitude qu’il comprend si bien, le laisser à cette communion
si rare avec la nature. Il reste à une cinquantaine de mètres, s’assied sur le
sable, regarde longuement la mer jusqu’à une quasi hypnose puis s’allonge sur
le dos, main sous la nuque en offrande au soleil, s’endort… Ne sait pas combien
de temps il a dormi. Pas longtemps certainement car le soleil n’a pas encore
entamé la part descendante de sa courbe. Il met du temps à s’éveiller, n’a pas
envie de s’extraire de cet état cotonneux où il se sent à l’abri de tout, sans
nécessité aucune de se dire qu’il a à faire quoi que ce soit pour vivre. Il se
contente d’être. Tenant ses genoux dans ses mains, il s’assied dans une
position presque fœtale. L’homme est toujours là, toujours dormant. Wilfrid
pense qu’il n’a pas changé de position, qu’il est dans le confort absolu d’une
immobilité totale, que son corps est en symbiose avec le soleil et la mer. Il
ne peut s’empêcher de le regarder, le regarde longtemps, l’homme ne bouge pas.
Le soleil descend lentement, ni Wilfrid ni l’homme ne bougent comme si chacun
d’eux faisait maintenant partie de la plage. La chaleur solaire décroît.
Wilfrid se lève, hésite, se demande s’il va se rapprocher de cet homme dont
l’immobilité l’intrigue mais qu’il ne veut cependant pas déranger dans sa
volonté de communion parfaite avec la nature. Il fait quelques pas vers lui.
S’arrête. L’homme ne bouge pas. Le soleil s’approche de la mer. Wilfrid se dit
qu’il lui faut partir, que dans une demi-heure, trois quart d’heures tout au
plus, il fera nuit et froid. L’homme n’a pas bougé, le ressac s’approche de ses
pieds mais il ne bouge pas. La pensée de la mort effleure Wilfrid, l’inquiète,
l’effraie, il regarde l’homme, guette le moindre signe de vie. Et le paysage
bascule, les bleus deviennent gris, des nuances violacées s’imposent sur la
mer. Il est temps de partir, Wilfrid se dirige vers son vélo. Avant de quitter
la plage, il se retourne : l’homme n’a toujours pas bougé, un
semi-crépuscule éteint le paysage.