un chant religieux envahit l'église
« …et ce fut comme si les voûtes
allaient éclater, un flot brutal de percussions déferla sur l’assistance, un
tsunami de sons noyant tout autre son sous son impérieuse violence ;
brusquement, tant la puissance des haut-parleurs dissimulés sur les chapiteaux
des travées était grande, l’ensemble de l’édifice, éveillé d’un assoupissement
millénaire, parut vibrer, il semblait que les vieilles pierres exsudaient du
son, qu’elle en produisait, en reproduisait en se le renvoyant de l’une à l’autre,
le répercutant d’une pierre à l’autre, d’une colonne à l’autre, d’une voûte à l’autre
dans un rebond-ricochet absolu… »
Aussitôt, Jim Wollans élcetrise la
foule, béate.
Dans sa niche, le bon Saint Yves,
ébloui par les projecteurs apocalyptiques, garde cependant toute sa dignité.
Bientôt, peu à peu, au rythme lent de
« Sometimes I feel… », toute la dentelle s’anime d’une excitation
croissante, se déchaînant brutalement lorsque, avec fougue, l’artiste s’empare
de « réveille-toi… ». C’est extraordinaire ; même dans ses
mitaines, tape la baronne de Lacroix-Turpin.
Armelle, elle, s’est réfugiée contre
un pilier du chœur où Serge et Robert la protègent ; elle se sent vaguement
gênée de cette invasion du son et du soi-disant modernisme dans un lieu qui
représente toujours, pour elle, l’enfance, le calme de son enfance, la
pondération, la régularité de sa vie d’enfant avec la solennité tranquille des
dimanche et des jours de fête, avec le mystère assoupissant de ses messes
rituelles mesurant le temps comme autant d’événements mémorables et naturels.
Bien qu’athée maintenant, l’église est toujours pour elle un lieu sérieux et de
refuge, de recueillement, un lieu où le silence permet de se concentrer, se
remettre sans cesse en cause ; il lui semble être témoin d’un viol, du viol
de toutes les âmes chrétiennes du monde. Le fait que l’assistance semble
consentante finit de l’effrayer : elle devine que le village se donne
aisément bonne conscience, tolérant des réformes superficielles qui ne
remettent absolument pas en cause sa façon quotidienne de vivre.