Les Ballices, 14 heures 50
Bréauté hésite entre plusieurs solutions, avance, songe, s'attarde, se retourne, sent, se dit douter sérieusement de l'existence, tente toujours de se prouver qu'il est bien vrai qu'il vit. Le ciel luit comme une enfilade de perles d'azur. Il s'éloigne, marche. Près de lui un arbre frissonne. Il ne vient personne, il faut tout mettre au passé… C'est un lieu d'adieux. Tout est solitaire. Le temps a ici son poids d'éternité. Bréauté ne peut se laisser distraire par les à-côtés. La nature lui apparaît ainsi vaguement hostile.
Paysage moucheté. Terre,
vert-noir, gris pierre, étalés, étirés sur d'intenses bandes. Le silence est si
pur! Il sait trop de choses qui ne comptent pas. Il est
porté en avant par ses souvenirs, ramené par eux en arrière… endosse un à un
les vêtements de l'air pur, les friselis de l'air lui semblent parfois des
souffles. juge de la mort par les beautés de la vie. Bréauté est tellement vêtu
de ville et de murs… Sa rage est inaccessible, il pourrait quitter tout cela,
ne s'y résigne pas. Les collines sont comme dévorées par la lèpre
verte-orangées des buissons de buis. Il pense que ce lieu est cerné de hautes
falaises qui le coupent du monde et le transforment en île. Il essaie de
ramener à la surface de sa mémoire une journée, un matin, une heure… Il attend
quelque chose, ne sait quoi, mais attend… De minuscules champs sont
soigneusement sertis dans le moindre creux des collines. Bréauté désire aussi sa solitude
de la grandeur, sa route est solitaire.