Chez Bart
— XXII —
Dickinson, mardi 22/12/2015, 15:37:47
Après la chorale à l’église
Baptiste et un thé chez leurs voisins, Sue et Brooks, les parents de Bart
reviennent chez eux. La maison est parfaitement calme. Brooks va dans son
bureau. Sue, comme à son habitude, cherche les enfants. Elle sait bien qu’ils
sont grands, que c’est un peu ridicule, mais elle éprouve toujours une certaine
satisfaction à voir que chez elle, dans le confort qu’elle a su créer avec
Brooks, règne un bonheur sans nuage, que ses enfants sont bien élevés,
corrects, intelligents, respectueux des valeurs établies: une vraie
jeunesse américaine. Sue aime l’ordre, la propreté. Sa maison doit être
impeccable, respirer le confort, l’hygiène et le neuf. C’est un plaisir à
chaque fois renouvelé de vérifier qu’il en est bien ainsi jusque dans les
moindres détail. Accoutumée à vivre dans l’environnement protégé de sa famille,
au pire de son quartier d’où elle ne sort jamais, ne fréquente le monde extérieur
qu’à travers son écran. Elle est persuadée que seule sa famille a une existence
réelle, le reste se situe dans un univers hypothétique, abstrait, qui ne la
concerne pas.
Tery joue dans le jardin
avec un voisin de son âge. Wendy, au visiophone du salon, discute sans fin avec
Jennifer, une amie, de leurs derniers boy-friends. Bart est certainement dans
sa chambre… Sue n’aime pas ça. Elle trouve que Bart a trop tendance à s’isoler,
n’est pas assez sociable. S’il continue ainsi, il risque d’être rejeté. Il
devrait sortir, avoir des amis, faire davantage de sport, participer à quelques
uns des nombreux clubs du village. Sue monte à l’étage, frappe à la porte de la
chambre de Bart. Pas de réponse… Sue insiste. Silence complet. Elle ouvre,
entre. La tête de Bart dépasse du dossier du fauteuil… Irritée, Sue
s’approche :
- Bart, tu exagères. Tu
as vu l’heure, dit-elle sur un ton qui se veut grondeur.
Bart ne répond pas.
Sue ne comprend pas. Elle
contourne le fauteuil. Bart, tee-shirt et caleçon, est assis, droit, presque
raide, yeux grand ouverts, regard fixe. Sue s’effraie comme devant quelque
chose qui n’a pas été prévu dans son cadre de vie :
- Bart, que
fais-tu ?
Pas de réponse. Sue prend
la main de Bart. Il se laisse faire. Sa main est chaude. Il respire. Son regard
reste étrangement fixe. Il semble inconscient. Sue ne comprend pas. Comme
chaque fois qu’elle ne comprend pas, elle pense à Brooks, son unique lien avec
la complexité du monde.