Le trésor de La Beude
On se souvient
peut-être que Wilfrid et son copain ont trouvé chez La Beude une dame-jeanne
remplie de Louis d’or. Il y en a pour une fortune même si, au moment de la
découverte, ni Wilfrid, ni son complice — ni d’ailleurs Ulf qu’ils mettent
plus tard au courant — ne savent exactement ce que signifie « une fortune ».
Mais comme leurs intérêts dans la vie ne vont pas vers l’argent, ils décident
très vite de partager les pièces en quatre : deux parts pour Wilfrid (qui
ne sait pas qu’en faire), une part pour Ulf (qui ne va pas tarder à s’acheter
une caravane d’occasion moins vieille que celle dans laquelle elle vit), y
cacher le reste ses pièces qui disparaîtront presque totalement dans la
destruction de sa caravane lorsqu’elle mourra à son tour ; et une dernière
part pour leur copain qui va, très lentement se faire voler par des filles de
joie qui, elles, comprendront très vite la valeur de ses pièces et sauront,
entre deux fellations, les lui soutirer avec ardeur. Ce « trésor » a
une histoire rocambolesque qu’aucun des trois personnages ne connaîtra jamais.
Ce qui n’est
pas le cas de l’auteur qui, comme tout lecteur s’en doute, sait tout sur tout
de ses personnages, de leurs contextes, de leurs relations, arbres
généalogiques, maladies, vices, désirs, fantasmes, passé , présents et à venir,
etc. etc.
Donc : La
Beude avait un père, une mère certainement aussi mais elle ne l’avait jamais
connue. Ce père, qui s’appelait Édouard Cline (père par ailleurs d’un certain
Jake Cline que La Beude n’aura jamais connu) était poète de profession et, de
temps en temps, brocanteur, ramassant ce qu’il trouvait où il le trouvait puis
essayant, parfois, lorsqu’il n’était pas pris d’une inspiration subite ce qui
exigeait qu’il travaille dans le premier bistro venu, de le vendre dans les
multiples foires à la brocante de sa région. C’est ainsi qu’un jour, une des
connaissances de comptoir, lui apprit que l’hôpital de Lodève, alors tenu par
des religieuses, avait décidé, pour grandir sa pharmacie, de jeter tout ce que
contenait son ancienne librairie. Édouard monta dans sa 2 CV Citroën et se
précipita à Lodève. Il alla à l’hôpital, demanda la Mère Supérieure qui lui
confirma la véracité de cette information et, contre un modeste don aux œuvres
de son couvent, fut ravie qu’il l’aide à débarrasser sa pièce des centaines de
livres anciens dont personne ne voulait. Édouard ne fut pas enchanté de
constater qu’il n’y avait presque que des ouvrages des XVI ème, XVII ème et
XVIII ème siècles car il n’y connaissait rien et ne savait pas trop à qui
vendre tout cela. Il en remplit malgré tout sa voiture. Ce qui pourtant l’intéressa
davantage c’est qu’il y avait aussi dans la pièce d’autres objets plus
vendables : trois dame-jeanne emmaillotées d’osier, quelques bols et pilons
de marbre, quelques bocaux de faïence ou de verre plus ou moins ébréchés, des
photos mal encadrées, des gravures de plante, etc. Il emporta le tout qu’il
remisa comme d’habitude dans le désordre le plus complet au fond de sa grange entrepôt
qu’il partageait avec de nombreux mulots et araignées. Au cours du temps, il
vendit quelques uns de ses objets, parfois même des livres mais, lorsqu’il
mourut d’une pneumonie attrapée pour avoir dormi sous la neige une nuit où une
trop forte inspiration l’avait amené à boire plus que de coutume, un certains
nombre d’entre eux lui restaient. Son fils Jake ne sut jamais que son père
était mort ; c’est La Beude qui hérita de tout le fatras que, par pitié
filiale, elle entassa dans sa maison sans plus s’en soucier. C’est ainsi que la
dame-jeanne au trésor, dont personne ne s’était occupé pendant quelques
siècles, vint entre les mains de Wilfrid et de ses compagnons.
Quant à l’origine
réelle de ce trésor, c’est une autre histoire.