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Écrits de Marc Hodges
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4 juillet 2009

Où apparaîssent André Pagès et le Méjean

— XIV —

Saint-Pierre-des-Tripiers, lundi 21/12/2015, 18:51:30

André Pagès rentre chez lui.

 

Le vaste plateau aux vallonnements couverts de neige, à peine interrompus par de maigres bosquets de pins, s’étend à perte de vue, ponctué çà et là de quelques genévriers. Vide… L’ombre souple d’un nuage de passereaux virevolte. Tout l'horizon s’éteint dans la lumière déclinante. Sur la blancheur profonde de la neige, le ciel immense est d’acier pâli. Un oiseau crie… Cri paisible et rauque… Plus loin, un coassement de corbeau trahit l'épaisseur du calme… Il fait si beau… Une très légère brume, montant des forêts, voile à l’horizon le bleu paisible du ciel. Personne en cette saison. Le poids du silence est absolu. Frémissements et sonorités déroulent paisiblement leurs larges échos lents que rien n’a plus troublé depuis longtemps. Colline après colline, combe après combe, transforment la beauté en distance rendant impossible d’imaginer qu’un miracle pourrait ne pas se produire. Au-delà des apparences, l'éternité commence ici. La pauvreté se fait magnificence, le rien est la totalité. Telle est la richesse de ce dénuement absolu, qu’aucun autre paysage ne semble pouvoir exister ailleurs…

 

André Pagès affectionne ce paysage vide du Méjean où il se trouve face à lui-même. Il vit sur le plateau depuis si longtemps qu’il lui semble le connaître depuis toujours. Il n'a, depuis si longtemps, plus de comptes à rendre à qui que ce soit… Il écoute le vent. Le calme est absolu, la sérénité étale. Le calme est si pur qu'il entend avec beaucoup d'éclat de petits bruits lointains: branche qui craque sous le gel, aboiement de chien, coassement de corbeau, poignées de neige tombant des branches. Quelque chose le porte en avant. Sa marche est lente, lourde. La solitude profonde et comme intemporelle qui l'environne, l'aspect immatériel de ce paysage, tout cela avive son imagination. Parce qu’il lui est impossible de rompre le silence, vivre avec les hommes lui serait trop difficile. Il a ici un sentiment de sécurité éternelle et, comme d’habitude, emmitouflé dans son immense cape de berger vert-montagne, mains bandées de ses mitaines de grosse laine grise, il va sans savoir où, plus sûr pourtant de ses pas que si une volonté lucide le menait car rien ici ne lui est étranger. Il marche déjà depuis plusieurs heures… L'exaltation que provoque en lui la profondeur orgueilleuse de sa solitude est renforcée par la certitude de l'ennui qu'il éprouverait à vivre ailleurs. À l’horizon, au sommet de la crête, sous le vol lent d’un vautour fauve, dénonçant la profonde blessure des canyons de la Jonte, les ombres gardiennes de Saint-Pierre-des-Tripiers se découpent sur le ciel.

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