Près du dolmen du col de Pierre Plate, 19 heures 21

Bréauté marche dans la musique du silence, laisse faire comme s'il y avait là quelque chose de plus ancien qui, un jour, dans des circonstances révolues, avait été une part de lui, écoute le vent : la solitude ici s'éprouve comme une force. L'image du petit garçon à culottes courtes qu'il était courant avec délices sur ces terres d'herbes rêches brouille le regard qu'il porte sur le paysage. En ces lieux, l'homme dérange car il souffre de toutes les choses et, souffrant d'elles, en jouit. Tous ses souvenirs sont pris dans les ronces grisâtres de son cerveau. Il y a dans l'air comme une sourde crainte de vivre. Bréauté essaie d'appréhender le fortuit, d'écrire le livre du monde désordonné dans lequel il vit. Il est là, change de place sans bruit, n'est rien qu'œil, oreille, il prend sa couleur des choses sur lesquelles il repose. Il pense qu'il ne pourrait quitter tout cela et en même temps s'y ennuie. Passage de nuages dans le ciel : rien n'est fait pour attirer. Il veut le monde de cette façon là. Ce qui fait défaut, c'est le souffle… La route va quelque part ; tout au moins il la voit s'en aller pendant quelques temps… Des murs bas bordent le chemin à droite et à gauche. Un homme est assis au bord de la route. C'est ainsi. Il y a tant à faire. Sans buts précis, Bréauté marche, foule la glaise en longues enjambées autoritaires. Il est, pour un instant d'enchantement, le dominateur du temps. Un nuage d'images floues tourbillonne dans sa tête, il se protège contre la remise en cause de toutes ses certitudes. La pauvreté se fait ici magnificence. C'est par l'observation de son passé qu'il est parvenu à savoir qui il est. Devant lui le ciel caresse lentement le sol, derrière lui ciel et terre se fondent, il se sent soudain si fragile. Un vol lent de corbeaux s'arrache du sol lourd comme une seule masse. Bréauté hésite entre plusieurs solutions.