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Écrits de Marc Hodges
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23 mai 2009

Sosies numériques

- Tu devrais comprendre ça, dit Blaise à Laurence, le réseau, c’est la vie… Avec notre manie de tout conserver, de faire de tout présent un passé, il n’y a pratiquement pas un fait, pas un événement, pas un objet qui, d’une façon ou d’une autre, ne soit archivé dans le réseau. Le moindre collectionneur de papier-torchon estime sa collection digne d’un archivage pour la postérité et crée un cybermusée… Toute la vie du monde est dans le réseau, elle en fait partie intégrante. Tout est là… Même notre amour… Il est là, inscrit quelque part. Parce que nous avons échangé des messages, parce que je t’ai donné des adresses que tu ignorais, parce que je t’ai aidée à détruire des virus qui gênaient ton travail, parce que j’ai programmé quelques agents intelligents qui te rapportent des informations… Tu crois être en dehors du web, mais le web c’est toi… c’est moi… Il est notre prolongement virtuel. Si nous nous marions un jour, notre mariage y laissera sa trace. Si nous avons des enfants, leur vie s’y inscrira. Nos vacances à Majorque y ont creusé leur piste. Notre excursion aux Antilles se trouve là quelque part dans cette immense mémoire du monde… Nous sommes le réseau parce que le réseau est fait de nos vies… Tu ne peux être jalouse du réseau parce que le réseau nous rapproche. Il me permet de te retrouver n’importe où, n’importe quand, d’être près de toi à des millions de kilomètres… Le réseau nous fait ce que nous sommes… Nous pourrions même faire l’amour à distance si nous voulions!
- Tu es fou… Je t’aime… Comparer la chaleur, les parfums, la douceur de nos caresses au virtual-love. Tu es un peu salaud! Tu exagères!

Riant, Laurence menace de le frapper. Blaise lui emprisonne les bras, l’embrasse sur la pointe des seins:

- Bien sûr ce n’est pas pareil, pas pour ce que tu crois… Ce qui distingue l’amour réel de l’amour virtuel, ce ne sont peut-être pas tant les sensations physiques car il suffit de modèles de simulation perfectionnés, que l’animalité de la présence directe… L’homme est resté très primitif, très animal. Il a toujours besoin de contact direct. Il n’en a pas besoin “réellement”, mais “fantasmatiquement”; il peut vivre sans ça, mais ne le sait pas encore. Nous voulons être sûr de ne pas embrasser une image, peut-être que dans deux ou trois générations nous ne ferons plus vraiment la différence!
- Ma belle image… plaisante Laurence.
- Arrête, on peut jamais être sérieux avec toi!
- Pas maintenant… Pourquoi devrions-nous être sérieux quand nous sommes si bien ensemble?

Blaise libère Laurence. Elle s’assied au bord du lit, rassemble ses cheveux en chignon :

- Je crois que tu exagères, tu te laisses emporter par le lyrisme de ta thèse… Tu es comme un homme ivre qui découvre un trésor d’architecture dans une rue où il est passé cent fois!
- Pas du tout! Je n’exagère pas… Tout est là… il suffit de savoir le trouver… Veux-tu que je te dise où tu es née, le nom de tes parents, de tes grands-parents, votre lieu d’origine, en quelle année tu as passé tes premiers brevets, ce qu’ils étaient… Veux-tu que je trace ton arbre de connaissances?
- Trop facile, j’ai déjà dû te dire tout cela cent fois!
- Veux-tu que je te dise combien tu as dépensé pour tes cadeaux de Noël, dans quel magasin de Londres tu les as achetés, quel était le nom de la vendeuse — ou du vendeur —, combien de temps tu as discuté avec elle, la nature, la quantité des bons de promotions qui t’ont été remis?
- Pas question… Tu me fais peur… Comment vivre avec toi si je pense que tu scrutes sans cesse ma vie… Fais-moi plutôt rêver!

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