De Lucienne Elstir à Sylvestre Saint-Loup

Saint-Loup, j'ai veillé jusqu'ici en vain, Sylvestre… comment pourrais-je vous oublier… j'ai encore pourtant la volonté de me maintenir vivante, mon besoin de mémoire m'empêche d'essayer de vivre en avant - j'ai si peu à dire alors que j'éprouve un amour fantastique… je me veux nettoyée de tout autre sentiment humain; mon âme est tendue, perpétuellement je vais dans la campagne espérant toujours vous y trouver encore - l'idée de ne pas être aimée de vous est une attente que je ne saurais soutenir; vous tenez mon être en vos mains.

Ciel sur ciel… détestation de l'écrit, de chaque pensée naît une pensée contraire… le paysage se perd. Topographie changeante de la carte du Tendre.

Ne me forcez point à vous fuir … je tremble de désir quand je pense à vous.

Le hasard compose des prisons invisibles.  Saint-Aignan-le-Jaillard est toute d'extérieur.  Saint-Aignan-le-Jaillard s'arrondit dans le bleu, le vent joue de la harpe électronique.

Saint-Loup, vous que ma passion tient en haleine. Ieu non cre que banananssa puosc aver ses vostr'amanssa - sans votre amour je ne peux être heureux - l'horizon s'éloigne à tout; dans  Saint-Aignan-le-Jaillard tout me parle d'amour, hélas. Je ne comprends pas que les hommes de mon temps ne consacrent pas l'essentiel de leur vie à l'amour; dans les champs je suis votre silhouette égarée - la campagne refuse de se laisser aller au drame; je tremble que vous ne vous repentiez de m'avoir rencontrée, toute chose est possible puisqu’elle porte en germe son contraire, le silence achevé de la nuit ouvre l'homme au rêve.

Rêve et réalité se confondent rarement… partout mon dieu que j'ai d'ennui à finir.

Lucienne, qui se rêve vôtre