Gymnastique du désir
Comme le temps passe; comme nous passons…
Il y a déjà presque deux mois que j'ai commencé à vous raconter
comment j'avais eu un véritable éblouissement en découvrant dans la
bibliothèque secrète de mon grand-père un certain nombre de livres
érotiques (je vous en donnerai un jour la liste) dont un, "Jeux des
nuages et de la pluie" dont les gravures ont impressionné avec force
l'imaginaire érotique de mes onze ans… Je ne suis même pas loin de
croire qu'elles ont orienté, par la suite, une grande part de mes
fantasmes et de mes recherches dans le domaine du plaisir.
Je me souviens notamment d'une d'entre elles qui m'avait beaucoup
intrigué au point que j'en avais fait, au crayon de couleur, une copie
— maladroite certes — que je possède toujours dans une de mes caisses
de souvenirs. Si je la retrouve, je la mettrai en ligne. En attendant,
si les mots peuvent d'une certaine façon compenser le manque de vision,
je vais essayer de vous la décrire: je crois qu'elle éclairera beaucoup
les confessions que je fais ici.
Il s'agit d'une peinture sur soie rectangulaire (côté horizontal
plus grand que le vertical) du XVIII ème siècle intitulée
"L'escarpolette". Sur la gauche, un homme portant quelque chose comme
une robe de chambre bleutée et des jambières mais la robe de chambre
est ouverte et toute la face de son corps est dénudée ce qui permet de
mettre en évidence un sexe bandant qu'il tend en avant en se cambrant
légèrement. Le regard de l'homme porte sur son sexe.
La partie de gauche de la gravure présente trois jeunes femmes
complètement vêtues et dont on ne voit que les mains et le visage. Deux
de ces jeunes femmes ont les bras en avant car elles contribuent à
pousser un escarpolette dont le mouvement principal est donné par la
troisième à l'aide d'un long ruban rose. Cette escarpolette est le
sujet principal et occupe donc, avec logique, le centre de la peinture.
Sur l'escarpolette, une autre jeune femme, avec de tous petits
pieds, ne portant qu'une tunique rouge ouverte. Elle se tient aux
cordes qui portent l'escarpolette. Celle-ci n'est pas constituée d'une
planchette, comme il est d'usage mais de deux lanières formant boucle
qui soutiennent la jeune femme au niveau du creux des genous, tandis
que le ruban rose que tire et relâche alternativement une des jeunes
femmes est relié à une ceinture verte divisant son corps en deux
partie. Cet ensemble technique donne à la jeune femme une position
provocante car, lui écartant les jambes, il fait saillir un petit
ventre rond et met en avant l'ouverture assez discrète d'un sexe où un
léger trait carmin évoque l’excitation d’un clitoris. Les regards de la
jeune femme sont fixés sur le sexe de l'homme qui lui fait face.l'attend
Le sexe de la femme se tend vers celui de l'homme qui l'attend…
C'est cette tension qui dès l'abord m'éblouit car on devine entre
ces deux êtres une impatience de désir extraordinaire, l'exercice est
difficile et l'on devine que de nombreux frottements vont se produire
avant que la copulation puisse se réaliser; on devine aussi que lors
même que la pénétration aura eu lieu, le mouvement de l'escarpolette ne
pourra aboutir à la satisfaction complète du plaisir de l'un et l'autre
qu'après de multiples tentatives d'aller et retour, certaines
couronnées de succès, d'autres d'insuccès relatifs. Le désir ne peut, dans ces va-et-vient, que s'exacerber.
Je compris dès lors que l'érotisme, le désir, devaient s'assumer dans une forme de gymnastique, que le corps tout entier devait y prendre sa part et que la part des organes sexuels proprement dits, n'y était que relativement secondaire, qu'il s'agissait de les faire accéder à une plénitude physique telle que leur satisfaction ne pouvait plus être que la polarisation sur leur "pointe" des sensations totales de corps entiers.