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Écrits de Marc Hodges
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23 février 2009

Universités virtuelles

“Comme le monde a changé !…” se dit Carver, “comment simplement imaginer ce que signifiait “penser” pour mon père ? !

Il tend son index droit. L’ombre s’en projette sur l’écran désignant une icône virtuelle qu’il active d’un geste : son texte, aussitôt, est enregistré. Il poursuivra demain… Un signal lui indique qu’il n’a maintenant plus assez de temps avant le début de son cours.

Pour se détendre, Blaise s’étire le cou, fait tourner deux ou trois fois, dans chaque sens, sa tête autour de l’axe de sa colonne vertébrale, se cale confortablement dans son fauteuil. Puis, il désigne une autre icône symbolisant une ville… Sur son écran se dessine la carte d’une cité théorique. Il en désigne l’université. Un plan de celle-ci apparaît. Carver choisit l’amphithéâtre 123. Il sait, bien sûr, que ni cet amphithéâtre, ni cette “université”, ni cette ville, n’ont rien de réel. Ils “n’existent” que dans la mémoire numérique des ordinateurs. Depuis quelques années, la construction de structures collectives lourdes et coûteuses ne s’impose plus. Une université n’est plus une université, mais une idée d’université. Les rares existant encore, réellement, avec de vrais murs, des fenêtres réelles, des portes qui s’ouvrent et des pupitres sur lesquels écrire, se trouvent dans les pays un peu arriérés, Afrique, Moyen-Orient, Asie Centrale, Balkans, certaines régions de l’Inde — tous pays fréquemment impliqués dans des conflits divers — où elles jouent un rôle local réservé à ceux de leurs étudiants qui n’ont pas réussi à émigrer : poches archaïques de pauvreté où les états, pour des raisons plus ou moins confuses, refusent — ou n’ont pas la possibilité — d’adhérer à une des trois grandes confédérations du monde… Ailleurs, les universités sont virtuelles. Réunions temporaires, programmées, d’individus distants. En 2015, une université n’est qu’une métaphore, un mot, un symbole répondant à des archétypes culturels encore ancrés dans l’imaginaire…

Sur l’écran de Carver, aléatoirement choisis parmi les cent vingt-cinq inscrits réguliers, apparaissent ses vingt-cinq étudiants du jour, ceux qui, en direct, en temps réel, vont servir à donner l’illusion réaliste d’un cours “à l’ancienne”. C’est-à-dire celui d’un temps où l’ensemble des étudiants étaient réunis physiquement dans une salle commune. Ils constituent le groupe des “esprits”, étudiants destinés à animer le cours. Chaque “esprit”, peut interroger le professeur en direct, l’interrompre, lui demander quelques précisions, lui faire quelques remarques. Les autres, ce sont les “fantômes”. Ils ne peuvent intervenir en direct. La plupart d’entre eux, quel que soit le groupe auxquels ils appartiennent, sont pourtant, physiquement, distants de plusieurs milliers de kilomètres les uns des autres. Aucun d’eux ne sait ni où réside leur professeur ni d’où il fait son cours. Tout ce dont ils sont sûrs c’est qu’il enseigne en temps réel. Aucun automate, jusqu’à ce jour, n’a réussi à simuler un dialogue crédible…

Les universités n’imposent donc plus que deux contraintes: une contrainte temporelle, une contrainte linguistique. Marc, par exemple, habite actuellement Montbéliard (France, Europe) — comme l’indique la fiche qui apparaît lorsque Carver zoome sur son image — et, pour un cours qui a lieu à quatorze heures dans cette université théoriquement située en Caroline du Nord (États-Unis), il doit s’installer devant son écran à huit heures du matin… Aliocha, qui vit actuellement dans une ville de Sibérie (Russie, Europe), se lève lui en pleine nuit, ou fait enregistrer le cours pour le suivre plus tard…

Après tout, ils avaient d’autres choix, de très nombreuses localisations virtuelles d’universités existent sur terre. Si ces étudiants ont choisi de s’inscrire à ce forum, c’est qu’il doit correspondre à leur intérêt particulier. Beaucoup d’entre eux, en fonction de leurs désirs d’études, du hasard qui les a fait rencontrer tel ou tel cours, de leurs horaires, de la célébrité des enseignants, sont inscrits simultanément dans plusieurs universités virtuelles. Les seules limites sont économiques mais la plupart d’entre eux travaillent en même temps ou disposent de crédits d’états… Chacun fait comme il veut, s’inscrit où il veut, pour la durée qu’il veut… Par suite, les cours peuvent avoir lieu n’importe quel jour. L’université virtuelle travaille en continu ce qui présente certains avantages, notamment pour les étudiants qui ont une activité salariée localisée.

Enfin, le cours est en anglais international. Tous les étudiants qui y sont inscrits doivent le comprendre. Du moins on le suppose, car c’est leur affaire… Comprendre l’anglais international n’est pas exceptionnel… Tous les habitants de la planète de moins de quarante ans en ont fait leur seconde langue. Du moins ceux qui appartiennent à la population intégrée. Les autres?… Certains se débrouillent, d’autres non… Même s’il y a des cours dans de nombreuses autres langues, la plupart de ceux du réseau adoptent l’anglais international comme base.

L’écran de Blaise Carver s’ouvre comme un zoom. Chacun est en place. Le cours peut commencer… Carver passe sa main droite dans ses cheveux comme s’il les peignait.

- Comment allez-vous depuis la semaine dernière, demande-t-il? Puis il ajoute: Y a-t-il parmi vous de nouveaux inscrits… ou quelques questions sur mon dernier cours?

Personne ne répond. Carver commence:

- Comme vous avez pu le voir dans le programme d’annonces, nous allons examiner aujourd’hui la notion d’esthétique de la virtualité !

Dans un cartouche à l’angle supérieur droit de l’écran, un chiffre change sans cesse — 250, 249, 252, 276, 243… Prise en compte, en temps réel, des arrivées et des départs des “fantômes”, des non-inscrits, des curieux, d’autres étudiants qui viennent suivre le cours un moment puis le quittent pour un autre. Carver n’aime pas trop que ce chiffre baisse. Sa rémunération en dépend. Ainsi, bien sûr, que son inscription dans telle ou telle université virtuelle. S’il veut s’offrir le voyage dont il a envie, il faut qu’il parvienne à stabiliser le nombre de consommateurs au-dessus de 250. Il va devoir être convainquant…

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