Sur le Devez, 6 heures 33

Bréauté voudrait n'être qu'un rayon du jour car il aime ceux qui ne veulent pas se conserver. Son avidité reste sans réponse. Il se demande si le pays qu'il incrimine est le pays réel ou une projection de son imaginaire, se dit que rien ne vaut vraiment la peine. Le mystère sans parole de la nature et l'ombre silencieuse du passé sont entrés en lui. Si tout cela ne signifiait rien ? Obliques. Il traîne derrière lui le poids de sa mémoire. Absent du temps, il est au-delà du bonheur, au-delà du malheur. Qu'est-ce que le temps? Si personne ne le lui demande, il le sait… Mais si on le lui demande, et qu'il veut l'expliquer, il ne le sait plus. Il a conscience que ses yeux cherchent à voir derrière les objets. Le silence devient de plus en plus profond. Il a des dispositions pour le mensonge. Parfois le vide presque absolu de ce paysage qu'il aime l'effraie. Le ciel sans horizon pèse au-dessus des terres. Son temps lui est personnel et privé… Terre de ses ancêtres…

Bréauté entend résonner en lui une langue qu'il ne parle pas. Il n'est jamais au-dedans, ni tout à fait en dehors, chaque pierre, chaque arbre, chaque colline veut se faire reconnaître, témoignage de quelque ancien passage. Dilatation de l'air… Il se souvient de ces tendelles qu'avec délectation il dissimulait sous les genévriers. Tout meurt, tout refleurit, le cycle de l'existence se poursuit éternellement. Rouille délavé, vert-rouille, ocre-vert, étalés, étirés sur de larges lignes. Un chien, assis dans une herbe incertaine, laisse le temps venir à lui. Il se sent tout à fait à l'aise dans le tricot de sa solitude. Demain est là, déjà palpable et pourtant si lointain et si flou. La solitude s'éprouve ici comme une force. Sa vie a retrouvé un ordre. Il est impuissant à maîtriser le magma de sensations qui se bousculent dans son esprit. Il n'attend rien du monde. Trop de mots. Il se veut totalement chez lui, ne peut pourtant chasser de son esprit une vague tendresse. Rêves.