La course à la mairie

La foule, mal contenue par des cordes mal tendues entre de mauvais piquets, huait les coureurs, leur lançait des insultes de toutes natures: anathèmes, jurons, quolibets, grossièretés, gros mots, sarcasmes, apostrophes, calomnies, sottises, camouflets, affronts… Certains, plus méchants ou plus audacieux ne se contentant pas de blessures morales, s’étaient munis de longues perches d’épineux et leur tapait dessus à chaque passage, essayant d’entraver, faire tomber, chuter, trébucher, culbuter, s’effondrer, s’écrouler, bref se casser la gueule les coureurs contre lesquels ils avaient parié tout en s’efforçant de protéger leurs favoris des coups des autres spectateurs. La bataille aurait pu devenir générale: elle devint générale et des ruisseaux de sang humain vinrent gonfler les mares résiduelles de sang porcin.

Armelle ne pouvait plus supporter ce spectacle, elle se retira dans la chambre, s’allongea sur le lit. Serge, Robert, la suivirent. Wilfrid, ayant engagé des paris avec un paysan installé sous la fenêtre et Zabre — méthodique, marmonnant des formules destinées à faire triompher son concurrent — demeurèrent à la fenêtre.

Au début du troisième tour, ne restaient plus en piste que deux hommes et une femme. D’un commun accord, les deux hommes s’en prirent à la femme, la dénudèrent et la livrèrent à une foule désormais déchînée. Après une brève empoignade, un homme l’emporta sous son bras. Puis les deux derniers concurrents s’empoignèrent. Grâce à son expérience, ce fut le vainqueur de la semaine précédente qui, une fois encore, remporta la victoire accablant son adversaire — au vocabulaire plus pauvre — sous la masse et la variété de ses calomnies et autres avanies.

De longs applaudissements acclamèrent le gagnant qui fut emporté sur l’estrade où, selon la coutume ancestrale, le garde-champêtre lui ôta, puis lui remit, une écharpe où, sous la boue, se devinaient des traces peut-être tricolores — rouge délavé en rose inoffensif, bleu devenu bluette — tandis que le bedeau épongeait, avec une attention minutieuse et une délicatesse recherchée, ses blessures.