Vue sur la vie

Suffisant… Ça aurait pu l’être n’était mon sens aigu de la perfection et mon désir absolu d’idéal — peut-être acquis grâce à ma précoce, complète et minutieuse éducation religieuse (mais je ne débattrai pas sur ce point) — du moins pour l’instant car si, plus tard, certains éclaircissements doivent s’imposer, je sais que je ne refuserai pas de regarder la réalité en face…

Quoi qu’il en soit, au stade actuel de mon récit, il est essentiel d’aller à l’essentiel, c’est-à-dire à ma première découverte du « Che »…

Donc, reprenons, je me suis installé à ma fenêtre, un matin entre sept et huit heures. Crayon en main, papier : je regarde. Plutôt, j’observe. Tout. Je note. Tout.

Au fond la falaise de Changefèges, déjà bien éclairée, dominant de sa coupure de pierres grises le reboisement de sapins bleu-encre. Là-bas, si loin, il semble ne rien se passer. Le tout forme une masse compacte, animée de nombreuses nuances certes, mais relativement compacte, et je peux, sans remords, ignorer la multitude des mouvements que je ne perçois pas mais qui doivent se multiplier au fur et à mesure que la vue se rapproche. Je passe, zoome, me rapproche. J’aborde les premières maisons sur la route de Chabrits et la voiture noire apparue entre deux virages. Les difficultés commencent avec la diversité des habitations encore qu’elles soient immobiles et qu’en dresser un inventaire est une tache relativement aisée. Un inventaire ou un plan ? Mais un plan ne donnera pas la couleur des toits, la forme des fenêtres, du moins des fenêtres visibles, celles qui sont sur la face Est. Par exemple des ouvertures pseudo-gothiques de la villa isolée qui s’efforce de se faire prendre pour un château avec sa tour-pigeonnier surmontée d’un gonfanon-girouette. Et les maisons partiellement cachées par d’autres maisons ? Et les morceaux de jardins d’ici devinés ?…

Puis des silhouettes se manifestent… La première sort d’une ferme sur la route de Chabrits et va d’un bâtiment à l’autre, sans but semble-t-il, encore que ?… Mais elle n’en a peut-être pas, excepté celui de vivre. Et encore… Il faudrait s’entendre sur le sens de ce verbe. Vu d’ici c’est plutôt dérisoire…