La voix des anges
Il était maintenant enfin dans l'avion.
Il était sans force, sans ressort, toute énergie l'avait abandonné. La
pluie griffait rageusement la vitre du hublot. Les jeeps militaires
surveillaient l'aéroport, la foule attendait à l'extérieur. On
apercevait au loin quelques maisons de parpaing éventrées. Il
s'effondra dans son siège avec une volupté infinie. Les derniers
passagers s'installaient dans le calme. Une douce musique occidentale
un peu sirupeuse mais extrêmement rassurante suintait des
haut-parleurs. L'air conditionné tempérait la chaleur étouffante de
l'atmosphère extérieur, les sièges étaient confortables et souples. Il
attacha sa ceinture, ferma les yeux pour se délasser, ne tarda pas à
s'assoupir dans la fraîcheur étale.
Et c'est alors qu'il
entendit distinctement la voix de l'ange: c'était une voix
inhabituelle, enjouée, surréelle, la voix d'une femme idéale articulant
posément une langue modulée, parfumée comme un vieil alcool, originelle
comme un esperanto céleste, à la douceur érotique, aux résonances
profondes et chaudes, aux inflexions chantantes et mesurées de castrat
napolitain, une voix de femme pourtant qui, s'adressant à tous, lui
parlait en particulier, ne vibrait que pour lui, n'avait sens que pour
lui et, le protégeant dans une bulle de légers échos irisés faisait, au
plus profond de ses cellules, chantant de façon aérienne, sur le suave
«sanctus» du Stabat mater de Pergolèse «le mode d'emploi, en cas de
besoin, d'un gilet de sauvetage», couler un bonheur infini.