Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Écrits de Marc Hodges
Écrits de Marc Hodges
Visiteurs
Depuis la création 98 712
Archives
24 juillet 2006

Poèmes d'amour ou de haine

Les sentiments que m'apporta mon second programme d'écriture furent de l'ordre du paradoxal: par simple modification des paramètres, je pouvais obtenir des textes lyriques exprimant diverses émotions. Or, si ces émotions pouvaient être les miennes, si elles s'exprimaient bien dans des formes qui me convenaient, si je pouvais, à l'occasion — comme je le fis sans trop de scrupules — les faire intervenir dans une stratégie de séduction, elles n'étaient que très rarement exprimées au moment où j'en éprouvais le besoin. D'une certaine façon, je dois admettre que la nécessité d'un poème d'amour me vient de la pression de l'amour. Si leur lecture par un tiers fonctionnait — du moins est-ce ainsi que j'interprétais les réactions de mes lecteurs— naturellement comme celle d'un texte quelconque, celle que j'en faisais ne se situait pas au même niveau. Amoureux je pouvais produire un poème de haine; haineux, je pouvais produire un poème d'amour. L'abstraction exigée par la programmation, maintenue par l'extériorité de l'automatisation, mettait, dans ce domaine, une distance immense entre mes motivations les plus profondes et les produits que livrait mon ordinateur. Je regardais ces textes venant de moi comme des étrangers qui, d'une certaine façon, singeraient mes manières et, bien que ne m'interdisant jamais — avant de les publier ou, pire encore, de les envoyer à leurs destinataires — de les corriger ou de les reprendre, je ressentais une gêne morale indéniable. Même si ce qui était produit venait du dépassement et de la connaissance intime de passions anciennes, même si je n'ignorais pas que l'écriture se fait avec des mots, je trouvais une certaine indécence à lire ces sentiments écrits hors de l'urgence de la passion. Si l'incomplétude des petits romans de fiction les laissait ouverts à toutes les aventures, je ne pouvais, à moins de les réécrire totalement, niant par là même toute utilité au programme, faire d'une satire un éloge.

On n'écrit dans sa vie qu'un ou deux poèmes d'amour. Si, amoureux, je décidais de ne demander que des poèmes d'amour, jaloux, que des poèmes de haine, le simple fait de pouvoir, à volonté obtenir satisfaction — du poème au mètre — dévalorisait leur poésie. Ce qu'ainsi j'obtenais, réduisant la force impulsive du sentiment à un artifice, n'était que l'infinie répétition du même. Loin de s'avérer créatrice, sous des variations de surface, cette multiplicité qui me donnait cependant quelques satisfactions d'orgueil, me renvoyait, mais en porte-à-faux, toujours la même obsession. J'avais la forte impression que plutôt que de produire une infinité de textes divers, je ne générais que des fragments d'un poème infini. Comme un moulin à prière sans fin tourné par le vent, une éternelle litanie d'amour.

Publicité
Commentaires
Publicité
Derniers commentaires
Publicité