Panique à l'aéroport
Il héla un vélo-taxi: «To the Airport!»
Son anglais était déplorable, sa prononciation auvergnate, il ne
parlait pas plus le tagalog que l'ifugao ou le chinois... Mais ceux à
qui il s'adressait ne parlaient guère mieux anglais que lui et, quoi
qu'il puisse faire ou dire, tous le considéraient comme un diable
américain.
Il fallut près d'une demi-heure pour faire quatre
kilomètres. Partout des soldats surarmés, des véhicules militaires. Les
patrouilles surveillaient la ville, faisaient la ronde jour et nuit. La
route bourdonnait d'une nuée de touk-touks fumants, indisciplinés
chassée à grands coups de klaxons rageurs. Tout en haut de gros nuages
s'amoncelaient, se disloquaient, s'éloignaient lentement vers le nord.
La pluie reprit, brutale, torrentielle, transformant la route en
rivière. Quand ils parvinrent à l'aéroport, une foule agitée débordait
du hall, tous hurlaient, se bousculaient, agitaient des papiers,
s'efforçant, sous les regards de policiers blasés, d'entrer dans le
bâtiment. Quelques privilégiés, sans que l'on sache pourquoi, étaient
autorisés à passer par une porte latérale aussitôt refermée sur eux.
Impuissant,
accablé, Ganançay regardait la bataille. Étranger, ne connaissant
personne, s'exprimant difficilement, il savait qu'il ne pourrait jamais
passer, que, dans ces circonstances, son passeport européen ne lui
serait d'aucune utilité. Le chinois qui devait venir le chercher à
l'hôtel l'avait abandonné. C'était sûr. Il avait dû trouver un moyen de
partir. Ganançay essaya de se renseigner: «Un avion? Peut-être...
Quand? On ne savait pas, aujourd'hui, demain, après demain, dans trois
jours? Il y en aurait un, sûrement, militaire, civil... On ne savait
pas... Il fallait des billets, une autorisation de partir? Où? On ne
savait pas...» On commençait à le regarder étrangement. Il lui sembla
entendre: «american, american...» Sans cesse la noria puante et
pétaradante des touk-touks déposait de nouveaux arrivants. Quatre
personnes, cinq parfois sautaient des sièges des petites motos hondas
prévues pour trois passagers. Il n'avait pas l'impression d'être lâche
mais se sentait bien seul. Un avion militaire surgit, survolant le
quartier à basse altitude. Son ronronnement faisait trembler les
vitres. Les visages se levèrent où l'on pouvait à la fois lire de
l'espoir, de l'étonnement et de l'inquiétude. Mais l'avion s'éloigna
rapidement, ne devint plus qu'un point brillant, un reflet orangé sur
une hélice ou un hublot de la carlingue. Les conversations qui avaient
cessé un instant reprirent de plus belle. Ganançay entendit parler d'un
bureau en ville, du siège d'une compagnie d'aviation... Des coups de
feu dans le lointain, plus proche une rafale de mitraillette. Une
détonation retentit; une autre, une autre encore, plus faibles. Les
motos-taxis sont prises d'assaut.