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Écrits de Marc Hodges
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4 juillet 2006

Un peuple religieux

Il se promenait dans Manille. Le lendemain il partait pour les montagnes du Nord. La pluie avait cessé pour un temps, la nuit était venue splendide, à chair très noire, à grains serrés. Les étoiles brillaient. En haut la voie lactée était une piste de caravane usée par d'anciennes comètes. Lorsque la lune se leva, il lui sembla qu'elle voulait mettre au monde un soleil tant elle s'étalait à l'horizon, lourde, pleine et lumineuse. Au centre d'un jardin public, s'élevait une église ronde, simple voûte de béton entourée de canaux brodés d'énormes nénuphars. Une foule de fidèles s'y pressait, serrée sur des bancs de bois. «...On aime encore son voisin, on se frotte à lui: on a besoin de chaleur» ce mauvais réflexe le protégeait un peu contre le sentiment nouveau de sympathie qu'il sentait naître en lui. Il lui était difficile d'abandonner ses habitudes d'ironie même s'il en sentait ici toute la vacuité...

Pour le cent vingt-cinquième anniversaire des apparitions de Lourdes, un grand concours international avait été organisé, les églises du monde rivalisaient de reconstitutions pieuses à la louange de la vierge. La mise en scène, occupant toute une partie du bâtiment, était impressionnante par sa magnificence. Dans l'angle inférieur gauche, la petite bergère est agenouillée dans la grotte, étalant dans l'herbe ses jupes misérables, la tête couverte d'un capulet, un chapelet emprisonné dans ses mains jointes. Elle lève son visage lumineux vers la longue dame blanche, nimbée d'une poussière d'argent, qui lui sourit du haut de son rocher, élégante et précieuse comme un mannequin de haute couture, coiffée d'une anachronique fontange de dentelle hispanique, la taille marquée d'une soyeuse écharpe bleue dont les pans épousent en tombant la ligne de la cuisse. Sous sa tunique, elle cache un corps plein de grâce: Notre Dame de Lourdes est la plus belle des vierges. On la prie, on lui rend grâces, on la couvre d'ex-voto, de récits de miracles: l'une demande le retour de son fils disparu; l'autre, pour la remercier d'on ne sait trop quelle satisfaction, dépose en offrande son cœur de sucre; on lui présente des nouveau-nés braillards; des vieillards baisent le bas de sa robe; un jeune homme, genoux en sang, termine le chemin qui, d'une banlieue lointaine, mène de chez lui aux pieds de sa vierge ; des religieuses à la certitude gracile prient doucement; une jeune fille, ignorant sans doute que l'on n'est jamais aussi dangereusement tenté que par eux, tend un journal titrant que les anges lui parlent; une vieille femme réclame le paradis; des prêtres prient; un innocent s'abîme dans des orgasmes mystiques... Et parce que les morceaux de bonheur qui sont en route entre le ciel et la terre se cherchent pour asile une âme de lumière, la source claire des yeux immenses de la Vierge laisse, sur la foule en extase, couler un regard d'amour pur.

Devant l'évidence tranquille de la foi que diffusaient ces êtres simples, Ganançay comprit que jusque là il mourait de désappointements, de contraintes, de frustrations, d'amour déçu, de mécontentements de lui-même... Ce soir, le bonheur rendait toute lumière plus tranquille. Mésange tendre et discrète, il se posait sans bruit sur son âme. Le reste était déjà derrière lui. L'histoire de sa vie n'avait jamais été intéressante... Je deviens une autre espèce d'homme, pensa-t-il et il ferma les yeux, vidant son esprit, ne désirant rien d'autre que ce calme paisible promettant cette paix du corps qu'il était venue chercher si loin. Il se sentait devenir confiant, généreux. «Les Philippins sont le dernier peuple naturellement religieux, c'est ici que je dois vivre car ici seulement, où les chérubins sont présents, des miracles peuvent encore se produire.»

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